La France n’a peut-être pas d’essence, mais elle a des idées. C’est ce que dit un dicton français populaire né dans les années 1970 pendant la crise pétrolière. En d’autres termes, la France est championne des initiatives originales qui peuvent sembler à la fois admirables et quelque peu futiles. La dernière mesure écologique prise par le gouvernement français est le « bonus de réparation ». Au lieu de jeter à la poubelle un pantalon déchiré, un sac avec une bandoulière cassée ou un pull troué, l’État paiera pour les faire réparer chez votre cordonnier local ou dans des ateliers de couture. À partir d’octobre et pendant les cinq prochaines années, nous pourrons récupérer entre 6 et 25 euros des frais de réparation de nos vêtements et chaussures auprès des artisans qui ont adhéré au programme.

L’espoir est de créer un cercle vertueux, de changer les habitudes pour le bien de la planète (700 000 tonnes de vêtements sont jetées en France chaque année), de soutenir les artisans locaux et même de créer des emplois dans ce que nous devons maintenant appeler le secteur de la « refashion ». Il y a trois ans, un programme similaire encourageait mes compatriotes à réparer leurs vieux grille-pains ou leurs machines à laver défaillantes plutôt que de les jeter par frustration. Les législateurs ont même obligé les entreprises à revoir leur stratégie d’obsolescence en publiant un « indice de réparabilité » pour chaque produit fabriqué. Les consommateurs peuvent désormais acheter de nouveaux appareils électroménagers en sachant à l’avance s’ils sont faciles (ou difficiles) à réparer.

Je comprends : chaque geste compte dans la course à la réduction de notre empreinte carbone, et l’industrie de la mode est l’une des plus polluantes. Mais quelle horreur ! Penser que nous avons besoin du gouvernement pour nous rappeler les choses les plus basiques de la vie, comme réparer ce qui est cassé plutôt que de le jeter dans un accès de colère enfantine ? Sommes-nous devenus amnésiques en tant que nation ? Ne nous souvenons-nous pas de nos mères/grands-mères/tantes tricotant des vêtements, raccommodant des chaussettes et des pantalons devant la télévision, cousant des linges de maison sur d’anciennes machines Singer, et portant les vêtements de nos frères et sœurs aînés ? Je me souviens parfaitement de la satisfaction de percer le tissu d’un jean usé : cela voulait dire que je pouvais enfin acheter une nouvelle paire, ou mieux encore, un jean vintage branché sur les marchés aux puces de Paris. Tellement cool et tellement écolo, comme nous disions avant que le terme « éco-friendly » ne soit inventé.

Je ne suis pas si ancienne pour ne pas me souvenir également du début de la restauration rapide et de la fast fashion dans les années 1980. J’étais enfant et je me souviens de la sensation enivrante d’un nouveau mode de vie : pas cher, rapide et… sans matières grasses. L’euphorie n’a pas duré longtemps : les images d’enfants fabriquant des vêtements en polyester par millions en Asie, et des tonnes de déchets textiles entassés dans les décharges ne semblaient pas être un progrès. Quant à l’industrie sans matières grasses, quelle tromperie.

Alors concentrons-nous sur la tâche et allons plus loin, s’il vous plaît ! Ce dont nous avons besoin, c’est que le président Macron appelle les Musks et les Zuckerbergs de ce monde et qu’il enrôle une armée d’influenceurs pour propager le mantra « le vieux, c’est cool » sur les réseaux sociaux. Les fashionistas de moins de 40 ans adoreront voir un coude rapiécé comme un signe de vertu, leur passe-temps préféré. Quant à nous, les plus de 40 ans, ce sera le retour tant attendu du bon sens. Et si je peux donner un dernier conseil au gouvernement français, au lieu de subventionner les réparations, pourquoi ne pas enseigner à chaque enfant, fille et garçon, s’il vous plaît, à coudre, couper, tricoter et raccommoder les vêtements à l’école ? Ainsi, la prochaine génération se souviendra de son grand-père et de son père qui raccommodaient des chaussettes devant « Call My Agent ! ».

– Agnès Poirier, commentatrice politique