jeans ses mémoires primées Les Années, l’auteur Annie Ernaux a rappelé la panique collective de la gauche française en 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen s’est rendu de manière inattendue au second tour de l’élection présidentielle de cette année-là. « Avant d’avoir eu le temps de réfléchir », écrit-elle, « nous avons été emportés dans la frénésie d’une mobilisation de masse pour sauver la démocratie française ». Un front républicain rassemblé à la hâte a permis à Jacques Chirac, le candidat de centre-droit à l’Élysée, d’obtenir une écrasante majorité de 82 % des voix au second tour. Les électeurs progressistes se sont bouchés le nez et ont fait le nécessaire. Comme l’a dit Mme Ernaux : « Mieux vaut un vote qui pue qu’un vote qui tue. »

Deux décennies plus tard, il semble probable qu’Emmanuel Macron devra s’appuyer sur un esprit similaire lors de l’élection présidentielle de ce mois-ci. Après un démarrage lent et agité de la campagne de Marine Le Pen, les sondages suggèrent maintenant qu’elle a de bonnes chances d’obtenir le meilleur résultat électoral de l’extrême droite depuis que son père a fondé le Front National en 1972. Une enquête récente ne la place qu’à trois points de pourcentage derrière M. Macron. dans un second tour potentiel. Dans une tribune conçue comme un signal d’alarme urgent, l’ancien Premier ministre français Manuel Valls a écrit le week-end dernier : « Il est minuit moins une… Marine Le Pen pourrait être élue présidente de la République.

Cette issue désastreuse – qui aurait des conséquences sismiques pour l’Europe à une époque de crises multiples – reste peu probable. Les sondages se sont resserrés en partie parce que le rebond dont M. Macron a bénéficié après ses efforts diplomatiques sur l’Ukraine s’est calmé, mais il bénéficie toujours d’une avance confortable dans la plupart des cas. Et même si le tabou sur le vote pour l’extrême droite n’a peut-être pas la force qu’il avait en 2002, il existe toujours : dans un sondage, 50 % des électeurs français ont déclaré qu’ils ne voteraient jamais pour Mme Le Pen. Néanmoins, par rapport à 2017, lorsqu’elle a été humiliée par M. Macron lors d’un débat et a perdu le vote au second tour par une marge de 66 % contre 34 %, elle a de l’élan et des facteurs vitaux se sont alignés en sa faveur.

L’islamophobie obsessionnelle et le racisme du rival d’extrême droite de Mme Le Pen, le polémiste de la télévision Éric Zemmour, lui ont permis de se présenter comme le visage modéré du nationalisme. Plus important encore, une focalisation stratégique sur l’économie et la crise du coût de la vie – la principale préoccupation des électeurs français – s’est avérée spectaculairement opportune et a accéléré ce processus de rebranding. Alors que M. Macron est déterminé à relever l’âge de la retraite à 65 ans et à durcir les règles de protection sociale, Mme Le Pen a déclaré qu’elle autoriserait la retraite à 60 ans et s’est engagée à augmenter le pouvoir d’achat des moins nantis. Cachées en arrière-plan, les aspirations d’extrême droite au cœur du programme de Mme Le Pen restent toujours aussi conflictuelles et discriminatoires. Des propositions radicales anti-immigrés et de nouveaux contrôles aux frontières placeraient la France en conflit avec le droit de l’UE, et un engagement à protéger « la composition et l’identité du peuple français » canalise les hypothèses de la théorie du remplacement des blancs. Mais elle a largement garé les trucs toxiques hors de la scène, élargissant avec succès son attrait et normalisant sa politique.

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Une course beaucoup plus serrée signifie que si le vote du premier tour de dimanche donne lieu à un autre tête-à-tête entre M. Macron et Mme Le Pen, le président dépendra des votes de la gauche pour le gagner. Mais près de la moitié des partisans d’extrême gauche du candidat classé troisième, Jean-Luc Mélenchon, ont déclaré qu’ils s’abstiendraient à la place. Certains électeurs de centre-droit ont entre-temps indiqué qu’ils opteraient pour Mme Le Pen. Par rapport à 2002, voire 2017, le front républicain traditionnel apparaît ainsi dangereusement meurtri et meurtri. Mais compte tenu du caractère autoritaire et xénophobe de l’alternative, il est crucial pour la France et pour l’Europe qu’elle tienne.