Pendant le règne de Margaret Thatcher dans les années 1980, le cinéma britannique était largement pessimiste, caustique, politique et opposant. Mais outre-Manche, dans la France de François Mitterrand, les films étaient clinquants et flashy, avec un éclat de néon sexy bien que superficiel : le soi-disant cinéma du look. Aucun administrateur n’en était plus responsable que Jean-Jacques Beineix.

Il est devenu à la fois célèbre et moqué pour ce succès colossal de 1986 qui a lancé la carrière fumante de sa star Beatrice Dalle: Betty Blue, un drame torride dans lequel un écrivain en herbe se lance dans une liaison passionnée et destructrice avec la sirène impétueuse de Dalle, Betty. Il a été nominé pour le meilleur film étranger aux Oscars, aux Globes et aux Baftas et a obtenu neuf nominations aux César. Mais Betty Blue n’a en fait remporté qu’un seul César: le prix horriblement approprié de la meilleure affiche (un prix abandonné quelques années plus tard), l’image emblématique du jeune Dalle se dressant magnifiquement dans le bleu du ciel couchant de plus en plus profond avec la cabane de plage clairement choisie en bas sur un horizon rougeoyant. C’était une affiche qui ornait les murs d’un million de chambres d’étudiants et bientôt le film, et Beineix lui-même, en vinrent à être méprisés comme un goût des années 1980 : les jambières du cinéma français.

Mais cela ne rend pas justice à son audace, son énergie et son exubérance, et au film qui l’a fait connaître en 1981 : Diva, un film avec un esprit new wave résiduel mais avec quelque chose de moins politique. Un jeune facteur qui parcourt Paris à toute allure en mobylette (ce véhicule phare de la Nouvelle Vague) est obsédé par une chanteuse d’opéra, interprétée par Wilhelmina Wiggins Fernandez ; il entre accidentellement en possession d’une cassette contenant une confession qui incrimine un flic de haut niveau, qui s’embrouille avec sa propre cassette illicite de la diva chantant l’air de soprano passionné de l’opéra La Wally d’ Alfredo Catalani , Dans ce? Non andréloin, avec sa note aiguë fracassante.

Béatrice Dalle en Betty Blue
Béatrice Dalle en Betty Blue. Photo : Moviestore/Rex/Shutterstock

Beineix a rendu à lui seul cet air incroyablement dramatique célèbre parmi les non-amateurs d’opéra (au grand dam des amateurs d’opéra hardcore) comme un single à succès d’un album par ailleurs peu connu. Diva a sans aucun doute inspiré le film Aria de 1987, dans lequel des réalisateurs tels que Jean-Luc Godard, Robert Altman, Derek Jarman, Julien Temple et Nicolas Roeg ont chacun créé une courte pièce accompagnée d’un air célèbre. Aria était flash et impétueux, mais certains pensaient qu’il s’agissait d’une version glorifiée d’art et d’essai des vidéos pop qui devenaient populaires grâce à MTV à la même époque. Beineix n’était cependant pas impliqué.

Après Diva, Beineix a réalisé ce que les admirateurs et les détracteurs considéraient comme sa pièce d’auteur clé, La Lune dans le caniveau, mettant en vedette Nastassja Kinski dans le rôle d’une femme riche et prédatrice dont le destin se heurte à un docker fumant joué par Gérard Depardieu. Ses fans ont obstinément insisté sur le fait qu’il s’agissait de la version française brillamment ludique, colorée et visuellement créative de Beineix sur le genre noir américain. Les opposants ont dit que c’était insupportablement prétentieux et absurde; Beineix a été profondément blessé d’être hué lors de sa première à Cannes.

Mais, l’an dernier à Cannes, j’ai pensé à La Lune dans le caniveau alors que les festivaliers s’affolaient pour le film Annette de Leos Carax, sa fantaisie musicale indulgente et follement ambitieuse composée par Sparks et interprétée par Adam Driver et Marion Cotillard. Qui peut douter que Carax ait été influencé par la fioriture anti-puritaine de Beineix ? Carax et Luc Besson devaient tous deux énormément à Beineix, même si ce fut le triste destin de Beineix de n’avoir ni l’influence commerciale durable de Besson ni la réputation intello de Carax.

Dans les années 90, l’étoile de Beineix a décliné, peut-être à cause de son film typiquement sincère mais peu propice IP5: L’île des pachydermes, qui a été froidement accueilli par la critique et dans lequel sa star emblématique Yves Montand est malheureusement décédée immédiatement après avoir filmé la mort de son personnage.

On a souvent dit que Beineix privilégiait le style à la substance. Mais est-ce juste ? Il avait à peu près autant de substance que n’importe quel réalisateur en activité de son temps, mais beaucoup plus de style, et en fait un amour sensuel du style. Sa Diva et Betty Blue méritent d’être connues comme plus que des accessoires de mode : elles étaient des réalisations cinématographiques vives et vibrantes. Et étonnant de penser à Altman, Godard, Jarman et al s’agenouillant efficacement devant Beineix dans cette collection Aria.