jen automne 2018, alors que le mouvement des gilets jaunes prend son essor, Emmanuel Macron fait face à une crise en France qui représente également un échec politique personnel. Un peu plus d’un an auparavant, il était arrivé à l’Elysée, élu sur un agenda centriste, social-libéral, pro-européen. Il incarnait une opposition farouche au national-populisme, mais semblait désormais le président sous la surveillance duquel le populisme en France se développait. À l’époque, j’ai écrit un article pour le Guardian demandant si les dirigeants centristes et anti-populistes créaient des pépinières pour les populistes qu’ils avaient juré de vaincre. Barack Obama, après tout, avait été suivi par Donald Trump. En Italie, Matteo Renzi a produit Matteo Salvini. Au Royaume-Uni, un gouvernement de coalition post-blairiste conservateur-libéralisme avait produit le Brexit. Alors après Macron, quoi ?

La réponse est tombée le 24 avril de cette année : après Macron, Macron. Mais quel Macron ? Et à quel prix ? Après cinq ans au pouvoir et entamant un second mandat, le président qui s’était engagé en 2017 à « tout faire pour que vous n’ayez plus jamais de raison de voter pour les extrêmes » affronte le premier tour des législatives le 12 juin dans un paysage politique plus divisé et extrême que jamais.

Le pays est divisé en quatre blocs étanches qui semblent incapables de se parler. Nous avons une extrême droite renforcée : Marine Le Pen a reçu 2,7 millions de voix de plus au second tour de l’élection présidentielle de cette année qu’en 2017. La gauche radicale est également plus forte. L’eurosceptique d’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon est arrivé troisième au premier tour de l’élection présidentielle, et s’est imposé comme l’homme fort de la gauche et de toutes ses factions concurrentes. Nous avons un bloc abstentionniste extrême, expression de la lassitude publique, de l’indifférence et/ou du rejet violent de la politique, et un centre extrême, une combinaison de droite et de gauche qui s’est formée autour de Macron.

La phrase d’accroche « dans même temps» (qui signifie à peu près « en même temps »), que Macron a utilisé à plusieurs reprises lors de sa première campagne électorale pour transmettre la promesse que deux idées apparemment contradictoires pourraient coexister, est venu définir le macronisme. Le slogan lui a bien servi. Il a réussi l’incroyable tour de force de devenir le plus jeune président de l’histoire de la République française et d’être élu deux fois sur la vague promesse d’un grand centre réformiste pro-européen fourre-tout, ni de droite ni de gauche – une sorte de tiers blairiste. façon mais sans l’appareil ou le soutien d’un grand parti. Le manifeste En Marche du macronisme était essentiellement Macron lui-même.

Le mouvement de Macron a vampirisé les partis traditionnels – droite, gauche et Verts. Il a été élu parce qu’il était la voie médiane raisonnable pour un pays démocratiquement fragile. Mais Macron lui-même a contribué à accélérer cette polarisation de la France. En cherchant à éliminer les anciennes lignes de démarcation du parti, sa grande mission centriste « en même temps » a aspiré tout l’air de chaque côté du centre politique, ne laissant de l’oxygène que pour la gauche radicale et l’extrême droite.

Lors de l’investiture officielle solennelle de Macron II dans la « salle des fêtes » de l’Elysée le mois dernier, deux des victimes du vampire se tenaient au premier rang parmi des centaines d’invités. Ni François Hollande ni Nicolas Sarkozy n’ont montré beaucoup de joie d’être là. Jamais auparavant dans l’histoire de la République française, un, et encore moins deux, anciens présidents n’avaient assisté à la cérémonie d’investiture du chef de l’Etat nouvellement élu. Deux anciens rivaux de droite et de gauche n’avaient pas non plus appelé les électeurs à les soutenir. Hollande et Sarkozy l’ont fait cette année pour différentes raisons : l’une pour bloquer Le Pen, l’autre pour s’assurer que les idées conservatrices étaient représentées. Le plus remarquable est peut-être que les deux grands partis du centre incarnés par ces anciens présidents, qui ont dominé la vie politique française pendant des décennies, ont été anéantis au niveau national. Macron a été réélu sur leurs cadavres.

Mais on ne sait toujours pas qui est Macron. De grosses rides horizontales sur son front et moins de cheveux donnent un aperçu des cinq années de crise qui ont marqué son premier mandat, des gilets jaunes à Covid en passant par la guerre de Poutine en Europe. Dans son discours d’investiture du 7 mai, il s’est engagé à se réinventer fort du nouveau mandat décisif que lui a confié le peuple. Conscient qu’il est vilipendé par certains groupes d’électeurs français, et que beaucoup, même parmi ses propres partisans, en ont assez de son acte de Jupiter par le haut, de son incapacité à déléguer et de sa propension à fonctionner à huis clos, il a également promis « un nouveau méthode ».

Neuf donc. Mais à quelle fin ? Ce président, assez brillant pour qu’on le ramène pour un rappel, est étrangement celui qu’on comprend le moins. Ses contradictions font qu’il peut être un libéral économique et «dans même temps” un étatiste. Parfois c’est un technocrate, ne démontrant aucun enjeu social évident, l’attitude qui a d’abord enragé les gilets jaunes, et parfois il est plus socialiste que n’importe quel ancien chef d’État français, endettant le pays avec « tout ce qu’il faut » pour limiter le effets de la crise du Covid.

Il est fermement opposé aux extrêmes nationalistes-populistes de droite et de gauche, mais aligné avec eux dans sa pratique égocentrique du pouvoir.

Les deux versions de Macron sont pragmatiques. Ils s’adaptent aux circonstances, en s’appuyant sur quelques convictions inébranlables : l’Europe, leur identité politique première, est le seul champ de bataille sur lequel ils ne transigeront pas. Ils encouragent les affaires, le travail, l’émancipation individuelle. Tous deux ont réussi à abolir le chômage et à imposer leur vision d’une Europe plus souveraine.

Mais Macron doit désormais choisir entre ses différentes identités s’il veut, avec sa coalition de centre-droit rebaptisée, obtenir une majorité absolue, gouverner efficacement et affronter des crises multiples et convergentes : effondrement du pouvoir d’achat, inflation, déficit extérieur colossal, croissance à moitié -mât, la cohésion sociale fracturée, la transition énergétique et la guerre en Ukraine.

Mélenchon a noué une alliance à gauche pour défier Macron au parlement avec un pacte liant le Parti socialiste, les Verts et le parti communiste. La Nouvelle Union Populaire Ecologique et Sociale ou Nupes, comme on appelle le bloc de Mélenchon, pourrait, dans l’état d’esprit actuel, confortablement gagner entre 160 et 200 des 577 sièges de l’Assemblée nationale (289 sièges est le seuil dont Macron a besoin pour une majorité absolue). Nupes partage plusieurs traits avec l’extrême droite, notamment un rejet des «élites» et du «système» – et, dans certains cas, un euroscepticisme teinté d’une indulgence discutable envers Poutine. Même si Macron obtient suffisamment de voix pour gouverner efficacement, on peut s’attendre à ce que ses nombreux opposants enhardis soient agités et bruyants tant au parlement que dans la rue.

Mais quel Macron va répondre ? Il a été étrangement absent et silencieux tout au long de cette campagne. Son second mandat s’annonce aussi fragile que sa réélection a été spectaculaire.