Jean-David Haddad, Professeur agrégé d’économie, Rédacteur en chef de Francebourse.com, Editeur, Auteur de Bourse de Paris : 10 Big Bosses, 10 Big Stories in JDH EDITIONS.

Tribune. Le conflit actuel entre Total et la CGT, qui prend en otage des millions de Français et fait chuter notre productivité à cause des heures passées dans les stations-service, met en lumière le fort conflit qui subsiste entre les grands patrons et le monde. voit comment ces derniers sont hués, les considérant comme des usurpateurs.

La France ne compte pas dans son cœur de grandes entreprises à vocation mondiale. C’est un fait. Des histoires françaises comme celles de Disney, McDonald’s, Apple ou Facebook seraient impossibles, impensables en France, car elles ne sont pas dans la culture ou l’ADN social de notre pays.

Pourtant, un homme d’affaires comme Bernard Arnault est sur le podium des personnes les plus riches du monde. Et il y a beaucoup de milliardaires dans notre pays. Plus prudents que leurs homologues indiens, nord-américains, britanniques ou autres. Or, selon le classement Forbes, la France comptait 42 milliardaires en 2021 sur 2 755 milliardaires dans le monde, selon la même source. Autrement dit, 1,5 % des milliardaires sont français. Alors que la France ne représente même pas 1% de la population mondiale ! Ainsi, les milliardaires, malgré tout, sont représentés dans notre pays un peu surreprésentés.

En France, les entreprises les plus grandes et les plus performantes sont pour la plupart soit le produit de grandes histoires familiales comme Michelin ou Bouygues, bâties sur plusieurs générations ; soit à la suite de changements qui ont plus ou moins affecté l’État et conduit leur développement à l’étalement de sociétés dirigées par des technocrates issus des grandes écoles, dont l’ENA.

Prenez par exemple des marques comme Total, Alstom ou Renault, pour n’en citer que quelques-unes. Ces deux modèles sont majoritaires dans le paysage industriel et commercial de notre pays.

Ainsi, le tissu entrepreneurial français de très haut niveau s’adapte soit au capitalisme familial, souvent créé par des jeux d’alliances et de réseaux, soit au capitalisme technocratique voire d’État.

Peugeot et Renault, les frères ennemis, tous deux inscrits dans le patrimoine industriel français, sont des démonstrateurs idéaux, même s’ils avaient au départ les mêmes bases.

Le cours de l’histoire fait qu’il y a de nombreuses mutations du modèle familial vers le modèle managérial. Une guerre comme une crise peut provoquer ce genre de changement. La crise de 2008, par exemple, a créé des milliards d’euros de demande pour de nombreuses entreprises. Il faut donc augmenter le capital. Donc la dilution des titres de la famille référente. Dilution pouvant entraîner une perte de puissance. Peugeot, qui jusque dans les années 2010 restait une grande entreprise familiale, a été contraint de se développer dans cette direction. Avec moins de 15% des suffrages, la famille Peugeot ne porte plus le poids d’antan. Il en va de même pour Accor, fondé par deux amis en 1967, chacun détenant désormais un peu plus de 1 % et ayant depuis longtemps quitté l’équipe. Mais l’histoire demeure et demeure. Il est écrit. Et elle mérite d’être connue.

Les fortunes fulgurantes sur la haute technologie sont extrêmement rares et presque impossibles en France si l’on compare les chiffres planétaires. Pas de place pour les soi-disant licornes. Il n’y a pas de place pour la folie innovante. Elon Musk n’a pas sa place dans ce paysage.

Alors le patron de Moderna est français ! Ce Marseillais de 50 ans, récemment devenu milliardaire grâce à son vaccin Covid, vit, travaille et développe son entreprise aux USA.

Cependant, le tissu capitaliste « de haut niveau » français a encore de la place pour s’étendre. Elle n’est pas si sclérosée qu’elle a cessé de changer au 20e siècle. Qu’on aime ou pas Xavier Niel, il n’en reste pas moins que ce natif de 1967 est l’un des derniers membres de ce cercle très restreint des plus grands hommes du monde des affaires. Il reste aux commandes et contrôle le capital de son Iliad, la maison mère de Free.

Ce monde de grands entrepreneurs se retrouve à la Bourse de Paris, très souvent dans le CAC 40. Mais pas que. Il y a aussi de belles histoires en dehors de la bourse, bien qu’elles soient plus rares et moins connues. Ainsi, on ne peut parler de nos grands patrons sans évoquer la famille Leclerc, qui a opté pour un modèle à part entière, loin de la Bourse, ou encore Yves Rocher.

Bref, être un maître en France, et plus encore un grand patron, malheureusement, ce n’est pas la gloire dans un pays où l’on préfère glorifier l’État.

C’est triste…

Jean-David Haddad