Jes syndicats communistes, l’extrême gauche et un groupe hétéroclite de provocateurs avaient prévenu qu’ils feraient n’importe quoi pour perturber la visite d’État de trois jours du roi Charles en France. Selon les rapports des services de renseignement divulgués à Le Parisienils planifiaient activement une action à Versailles et à Bordeaux lors de la visite de Charles et Camilla.

En fin de compte, leurs menaces ont été prises au sérieux. Par ailleurs, les 4 000 policiers et policières dédiés à l’événement royal pourraient être d’une utilité urgente ailleurs. Au grand soulagement des maîtres du protocole et des diplomates, et d’une écrasante majorité de Français – qui auraient été mortifiés si leurs invités d’honneur avaient été incommodés de quelque manière que ce soit – le président Emmanuel Macron a décidé d’épargner au roi le très français drame qui se joue dans nos rues. Ouf – ou, en anglais, ouf.

Olivier Besancenot, l’ancien porte-affiche du Nouveau parti anticapitaliste français, avait joyeusement déclaré : « Nous allons accueillir le roi par une bonne vieille grève générale. Si seulement. Il aurait été facile de mettre Charles III à l’abri du tumulte d’une « bonne vieille grève générale », même de grande ampleur. Nous sommes habitués à eux. Les grèves, les marches et la pompe républicaine sont parmi les choses que la France fait le mieux.

Les grèves ne sont pas le problème. C’est l’esprit insurrectionnel des extrêmes politiques qui est particulièrement préoccupant, car il empoisonne le débat public et radicalise l’opinion. L’ambiance en France est en effet devenue sombre et volatile ; Le mécontentement est désormais palpable dans les rues. Depuis que la réforme des retraites de Macron a été légalement imposée au Parlement et que le vote de défiance à l’encontre du Premier ministre, Élisabeth Borne, a été rejeté par seulement neuf voix, la tension monte. C’est dans l’air, tout comme le printemps et l’odeur de putréfaction.

Il est peu probable que le cortège royal se soit retrouvé coincé dans l’une de ces manifs improvisées qui éclatent la nuit et laissent derrière elles une traînée de feux de joie et de destruction sur les boulevards de Paris. Cependant, il aurait été impossible d’épargner au roi la vue et l’odeur de la capitale française à moitié disparue sous 10 000 tonnes de détritus. Lundi, les éboueurs municipaux entameront leur quatrième semaine de grève – ils ne veulent pas partir à la retraite à 59 ans en 2030 au lieu de 57 ans (l’âge de la retraite à 64 ans ne s’appliquera pas à tous. Il existe de nombreuses exceptions, notamment pour les mères, celles qui ont commencé à travailler jeunes ou qui ont un travail pénible).

Ce qui s’est finalement avéré trop périlleux dans cette visite d’État pour Macron, bien plus important que les menaces de l’extrême gauche, c’était l’optique. La dernière chose dont le président avait besoin était des photos de lui, en tenue de cérémonie, accueillant un chef d’État non élu qui doit sa position à sa naissance, dans le château de Versailles. Imaginez un matador nommé Macron balançant sa cape rouge devant un pays de 66 millions de taureaux.

Pour le meilleur ou pour le pire, qu’on le veuille ou non, qu’on en soit même conscient, la révolution de 1789 a changé notre regard sur nous-mêmes et notre rapport au pouvoir. Le compromis est un art réservé aux autres. Les rares fois où nous l’avons essayé, nous avons lamentablement échoué. La confrontation est ce pour quoi nous semblons être nés, ce que nous recherchons secrètement, ce qui nous motive. Macron est le premier à profiter d’une dispute. Dans une salle, il marchera toujours droit vers les quelques dissidents et débattra longuement avec eux, car il croit en son pouvoir de persuasion. C’est admirable et peut-être parfois un peu impétueux de sa part.

Avec la réforme des retraites, mal expliquée au grand public par Borne et son gouvernement, il a fait un pari pour le bien des finances du pays et dans l’intérêt des générations futures, qui seront de plus en plus grevées par le coût de leurs aînés. retraites. Les jeunes de demain lui seront probablement reconnaissants, mais ils ne sont pas encore nés. Les jeunes d’aujourd’hui, cependant, sont tentés de rejoindre les protestations.

Pour les adolescents français, c’est désormais un rite de passage de se faufiler dans une manifestation de masse contre une loi dont ils comprennent à peine les détails. Ce qu’ils retiennent de l’expérience, c’est un sentiment de pouvoir enivrant. La semaine dernière, les manifestants ont semblé de plus en plus jeunes, en particulier lors des marches impromptues nocturnes. Et plus la foule face à la police anti-émeute est jeune, plus la situation devient dangereuse. Les accidents ont jusqu’à présent été évités mais, à mesure que la tension monte et que la police commence à se sentir épuisée, le péril s’accroît. Pour un gouvernement français, c’est l’étoffe des cauchemars. Chaque fois que des jeunes se joignent à une manifestation en masse, le gouvernement finit toujours par reculer.

Jusqu’à présent, cependant, Macron a tenu bon. L’homme est différent de ses prédécesseurs. Il prend des risques et ne craint pas les difficultés. Il est constitutionnellement incapable de se faire réélire à la fin de son mandat en 2027, donc cela ne me dérange pas d’être impopulaire. Il peut aussi espérer que « la majorité silencieuse » des Français finira par être consternée par la saleté des rues, la violence et l’inanité de l’opposition et se retournera contre tous les opportunistes qui jettent de l’huile sur le feu.

C’est une possibilité. Mais c’est aussi oublier l’évidence : l’irrépressible romantisme révolutionnaire de mes compatriotes, qui aiment vérifier régulièrement qu’ils sont toujours le patron ultime. Quand ils le font, ils vont jusqu’au bout. Même si c’est contre leur intérêt. Macron n’a-t-il pas une fois cité Astérix et parlé des « Gaulois inflexibles » qui résistent à tout changement ? C’était une sorte de compliment mais les Français l’ont mal pris.

Emmanuel Macron sera-t-il l’homme à apprivoiser ses compatriotes ? Un matador levant sa muleta peut-il échapper à des millions de taureaux en colère ?

Agnès Poirier est une commentatrice politique, écrivain et critique basée à Paris