jeEn des temps meilleurs, la gauche française s’inspirait de la vieille phrase du Front populaire, «les lendemains qui chantent» (les lendemains qui chantent). Ces jours-ci, ce genre d’optimisme – ainsi que tout sentiment d’unité parmi les progressistes – n’est qu’un souvenir poignant.

À moins de 100 jours du premier tour de l’élection présidentielle française, la course aux positions parmi les candidats flatteurs de la gauche est devenue un spectacle secondaire houleux, alors que la campagne continue d’être dominée par la droite. Ce week-end, l’ancienne ministre socialiste de la justice, Christiane Taubira, est devenue la dernière espoir à jeter officiellement son chapeau sur le ring. Elle rejoint la maire de Paris, Anne Hidalgo – également socialiste – le vétéran de la gauche dure de France Unbowed, Jean-Luc Mélenchon, le candidat des Verts, Yannick Jadot, et un assortiment de personnalités marginales. Aucun des candidats n’a réussi à franchir la barre des 10% dans les sondages et aucun n’a de chance de se qualifier pour le second tour de scrutin ; pourtant tous restent dans la course, rivalisant pour prendre des votes les uns des autres. Les « demains chantants » ont cédé la place à un choc cacophonique d’égos têtus. Le résultat est que les quelque 30 % d’électeurs qui s’identifient comme faisant partie de l’extrême gauche sont effectivement privés de leurs droits.

Mme Taubira est associée à l’une des victoires progressistes les plus notables de ces derniers temps, après avoir fait passer le mariage homosexuel en 2013. Charismatique et populaire auprès des militants de base, elle espère que son pedigree radical pourra transcender la guerre des factions. Mais il y a aussi un risque qu’elle divise encore plus ce champ divisé. Mme Hidalgo a récemment averti que le choix de la gauche était de s’unir ou de risquer une éventuelle extinction en tant que force politique en France. Mais M. Jadot et M. Mélenchon, dont les sondages ont plus que divisé par deux depuis l’élection de 2017, ont tous deux refusé de reconnaître la validité d’une « primaire populaire » non officielle à la fin du mois.

C’est un triste spectacle. En 2012, suite à l’élection de François Hollande à la présidence, le Parti socialiste contrôle l’Élysée, les deux chambres du parlement et la plupart des administrations régionales. Il a ensuite payé un lourd tribut pour avoir promulgué des mesures d’austérité post-krach et hémorragique le soutien de la classe ouvrière lors de la réaction croissante contre la mondialisation. En 2017, le parti est déjoué par Emmanuel Macron qui le quitte pour monter le mouvement centriste En Marche et réussit un remaniement dans lequel il devient le rempart présidentiel face à la menace de l’extrême droite.

Face à ces formidables défis structurels, la gauche française ne peut s’offrir le luxe d’interminables luttes intestines et de campagnes complaisantes menant à une destruction mutuelle assurée dans les urnes. La primaire populaire a été mise en place par des militants progressistes dans une ultime tentative pour parvenir à un front uni. Il semble voué à l’échec dans cet objectif – bien qu’il puisse servir de rampe de lancement à Mme Taubira, qui a déclaré qu’elle ne se présenterait pas à moins de gagner. L’humiliation quasi certaine qui attend la gauche en avril devrait être le catalyseur d’un redémarrage radical de la façon dont la politique progressiste est menée en France.