La goélette de recherche « Tara » est revenue le 15 octobre au port d’attache de Lorient. Sous les applaudissements d’une foule enthousiaste, ce retour clôt une mission de près de deux ans en Amérique du Sud et le long de la côte atlantique de l’Afrique. Résultat : 70 000 km parcourus, 25 000 échantillons collectés et les eaux de 14 pays explorées. Il y a tout juste dix ans, la mission Tara Ocean visait à déterminer la composition du plancton mondial. Projet Pharaon ! Et pourtant, environ 100 000 espèces marines microscopiques sont aujourd’hui recensées. L’enjeu est désormais de comprendre comment interagissent ces créatures invisibles qui peuplent les océans et composent le microbiome marin. Sont-ils amicaux ou hostiles les uns envers les autres ? Quel est leur impact sur la santé des océans ? Comment vont-ils évoluer face au stress du réchauffement climatique ?

Le retour de la goélette « Tara » au port de Lorient s’accompagne d’une armada de voiliers. Crédit : TR/Polaris

« C’est le printemps des océans après le désert d’hiver »

Une partie de l’expédition, dirigée par Flora Vincent, scientifique à l’Institut Weizmann des sciences en Israël, s’est concentrée sur l’étude de la floraison printanière du plancton qui se produit chaque année au large des côtes argentines, entre Buenos Aires et Ushuaia. Le terme anglais « bloom » (éclosion ou efflorescence) caractérise ce moment passionnant où diatomées, coccolithophores et autres organismes planctoniques se divisent à grande vitesse et se répandent sur de vastes étendues de l’océan. « C’est le printemps des océans après l’hiver désertique », s’exclame Flora Vincent. – Cela se produit lorsque les conditions d’ensoleillement, de disponibilité des nutriments et de stratification de la masse d’eau sont réunies. Ce phénomène est lié à la dynamique des masses d’eau mobilisées par les masses d’eau. un courant circumpolaire qui crée un jet de nutriments vers le nord, contribuant à la reproduction du phytoplancton. Selon les principales espèces du plancton reproducteur, la plaque peut être vue depuis l’espace sous forme de longs rubans ondulés de couleur bleue, verte, orange, rouge… « Pour cette mission, nous recherchions un revêtement blanchâtre de coccolithophores, explique Flora Vincent.

Floraison de plancton depuis l'espace en 2021. Photo : NASA.

Floraison de plancton depuis l’espace en janvier 2021. © NASA

Bloom, un phénomène imprévisible

Ces organismes jouent un rôle écologique important : ils captent le CO2 de l’atmosphère et produisent en retour de l’oxygène. « Ils sont très nombreux, fleurissent dans tous les océans et représentent une biomasse géante », souligne Flora Vincent. Et quand, quand ils meurent, ils coulent au fond de l’océan, ils y stockent longtemps du carbone, que nous émettons en excès et qui est l’un des principaux gaz à effet de serre… Mais le blooming reste un phénomène imprévisible. Elle peut durer de trois semaines à un mois et, dans le cadre de la mission Tara Microbiome, apparaître n’importe où dans l’océan sur 3000 km de long et 500 km de large ! « Nous ne savions pas où nous allions », se souvient Flora Vincent. « Chaque jour, nous devions décider d’une destination pour le lendemain. La détection des blooms se fait depuis l’espace : on a des images satellites datées de 2 à 3 jours. .Mais le jet se déplace à une vitesse d’un demi-mètre par seconde ! Ainsi, le jeune scientifique se pose chaque jour une question lorsque chercheurs et membres de l’équipe se retrouvent à 18h00 dans la cabine d’un voilier pour analyser des images spatiales : où allons-nous ? Une question à laquelle la réponse était difficile et stressante.

« Lorsque nous sommes arrivés sur la zone cible au petit matin, nous avons collecté de l’eau et les instruments embarqués ont analysé les propriétés optiques de l’eau », explique Flora Vincent. « Cela nous a permis de savoir si nous sommes au bon endroit, chaque espèce de phytoplancton a une signature lumineuse. La goélette « Tara » dispose également de plusieurs capteurs qui analysent les propriétés de l’eau. Cela a permis de suivre et d’accompagner la dynamique de floraison. Des bouées dérivantes complétaient le dispositif d’analyse des eaux océaniques lors de la floraison printanière. Ces dispositifs permettaient d’obtenir l’unité de temps et de lieu : ainsi, les scientifiques étaient sûrs d’échantillonner le développement d’une même créature planctonique. « J’ai été frappé par la dynamique de ce phénomène d’efflorescences planctoniques et par son influence par les courants », explique le biologiste. Elle change d’un quart d’heure à l’autre. Organisme vivant. Il comprend de nombreuses espèces qui interagissent les unes avec les autres.

Une baleine repérée par l'équipe alors qu'elle observait une floraison de plancton en décembre 2021. Photo : Marin Le Roux / Polaryse.

Une baleine repérée par l’équipe en chasse d’une « fleur » planctonique en décembre 2021. © Marin Le Roux / Polaryse

Mais le bloom est aussi une « zone de guerre » selon Flora Vincent : les coccolithophores peuvent en effet être mangés ou attaqués par des virus et des bactéries, qui décideront in fine du sort de la bande vitale ! Selon ce futur bloom, il peut être équilibré positivement ou négativement en termes d’absorption de CO2 et de libération d’oxygène… Mais la source des océans a d’autres ennemis : les engrais et les polluants peuvent en effet favoriser les blooms d’algues qui émettent des gaz toxiques. Sans parler du changement climatique en cours. Depuis quelques années, le phénomène de floraison au large de l’Argentine s’éternise autour des îles Malouines et démarre plus tard que d’habitude lors de la mission Tara, ce qui ne peut être expliqué avec certitude à ce stade. De plus, ce type de phytoplancton, qui n’aime pas les eaux froides, se retrouve aujourd’hui en Arctique, phénomène de tropisation des régions polaires, dont nous n’avons pas encore mesuré les conséquences…