« J’ai hâte de déménager, j’attendais ce jour depuis des lustres ! » dit Joanne Burg devant sa nouvelle maison, à 60 km de l’île qui vient de sortir de la baie où elle a grandi. et que la montée des eaux menace chaque jour un peu plus.

En ce mercredi d’août, une dizaine d’Indiens d’Amérique qui vivaient sur l’île Jean-Charles reçoivent enfin des Cajuns les clés des maisons construites pour eux à Shriever, à l’intérieur des terres. Ils sont devenus les premiers bénéficiaires de l’aide fédérale à déménager en Louisiane en 2016.

Ce sont aussi les premiers réfugiés climatiques d’Amérique.

« La maison que nous avions sur l’île a toujours été notre maison. Mes frères et sœurs et moi avons grandi là-bas, nous sommes allés à l’école », se souvient Joanne Burg, dont la résidence familiale a été complètement détruite.

Chris Brunet devant des maisons construites pour les réfugiés de l’île Jean Charles à Shriver, en Louisiane, le 24 août 2022. (AFP – Cécile Clocheret)

L’endroit où ils ont dû fuir, l’île Jean-Charles, est un kilomètre carré de confettis. Il est habité par les descendants de plusieurs tribus indiennes qui s’y sont réfugiés pour échapper aux persécutions de l’État au XIXe siècle.

Mais le réchauffement climatique a fait de l’île un symbole du mal, dévorant la Louisiane, l’érosion.

Régulièrement battu par des ouragans dévastateurs, cet État du sud voit son littoral reculer inexorablement.

– 90% avalé –

Bert Nakin, un réfugié de l'île Jean Charles, reçoit les clés de sa nouvelle maison à Shriver, en Louisiane, le 24 août 2022. (AFP - Cécile Clocheret)Bert Nakin, un réfugié de l’île Jean Charles, reçoit les clés de sa nouvelle maison à Shriver, en Louisiane, le 24 août 2022. (AFP – Cécile Clocheret)

À terme, grâce à une aide fédérale de 48 millions de dollars, 37 nouvelles maisons seront construites à Shriver pour une centaine de résidents ou d’anciens résidents de l’île Jean-Charles.

« Il s’agit du premier projet de ce type dans l’histoire de notre pays », a déclaré le gouverneur démocrate de Louisiane, John Bel Edwards, venu assister au transfert de propriété.

« Nous avons déjà acheté des maisons pour reloger les gens. Mais nous n’avons jamais déplacé toute la communauté à cause du changement climatique », dit-il.

Maisons construites pour les réfugiés de l'île Jean Charles à Shriver, en Louisiane, le 24 août 2022. (AFP - Cécile Clocheret)Maisons construites pour les réfugiés de l’île Jean Charles à Shriver, en Louisiane, le 24 août 2022. (AFP – Cécile Clocheret)

L’île Jean Charles a perdu 90 % de sa surface depuis les années 1930, explique Alex Kolker, professeur adjoint au Louisiana Maritime Consortium of Universities.

L’île Jean-Charles était déjà fragile, et le changement climatique « la rend encore plus dangereuse » par la baisse du niveau des sols, la montée des eaux ou l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des tempêtes, ajoute-t-il.

La région est « l’une des plus vulnérables de la Louisiane », un État qui compte déjà parmi les plus vulnérables du pays, a-t-il déclaré.

– Arbres morts –

Le long de l’unique route qui mène à l’île Jean-Charles, il y a encore plusieurs dizaines de maisons, dont il ne reste parfois que des pilotis.

Maison partiellement détruite sur l'île Jean Charles, Louisiane, le 24 août 2022 (AFP - Cécile Clocheret)Maison partiellement détruite sur l’île Jean Charles, Louisiane, le 24 août 2022 (AFP – Cécile Clocheret)

L’ouragan Ida a durement frappé l’été dernier, emportant une partie du toit de Chris Brunet, 57 ans, qui a accroché une pancarte devant sa maison disant : « Le changement climatique, ça craint ».

En fauteuil roulant depuis son adolescence, il vit désormais dans un van au pied de la maison où il a élevé sa nièce et son neveu orphelins.

Indifférent aux moustiques crépusculaires et s’exprimant parfois en vieux français acadien, Chris Brunet explique que les ouragans terrifiants ne sont rien comparés à l’eau de mer qui ronge de plus en plus le bras mort.

« Tant d’arbres sont morts à cause de l’intrusion d’eau salée », se lamente-t-il.

Chris Brunet devant sa maison sur l'île Jean Charles, en Louisiane, le 24 août 2022. (AFP - Cécile Clocheret)Chris Brunet devant sa maison sur l’île Jean Charles, en Louisiane, le 24 août 2022. (AFP – Cécile Clocheret)

Trop attaché à la terre où vit sa famille depuis cinq générations, Chris Brunet a cependant longtemps renoncé obstinément à l’idée de déménager. « Personne ne voulait ça ! » s’exclame-t-il.

Il y a quelques années, il s’est finalement rallié à l’avis du chef de sa tribu, les Choctaw, persuadé que c’était le seul moyen de sauver la population de l’île de Jean-Charles, d’où provenaient de plus en plus.

Mais ceux dont la maison est encore debout ne veulent pas complètement abandonner les lieux.

Bert Nakin, également un nouveau résident de Shriver, aimerait repeindre la maison de sa famille sur l’île Jean-Charles, où elle passe ses dernières nuits.

PancartePanneau « Maison familiale, pas à vendre » sur l’île Jean Charles, Louisiane, le 24 août 2022. (AFP – Cécile Clocheret)

En découvrant les chambres et les salles de bain de sa nouvelle maison, elle a été stupéfaite. A 64 ans, pour la première fois, elle devient l’unique maîtresse de la maison dans laquelle elle vit.

Et pourtant, Bert Naken est déjà nostalgique de l’île de Jean-Charles. Même après s’être installée à Shriver, « l’île sera toujours la maison de mon cœur », jure-t-elle.