jeA Bordeaux, les viticulteurs réclament une indemnisation de l’État pour détruire les vignes et transformer les invendus en alcool industriel, les prix s’étant effondrés grâce à la surproduction et à la modification des habitudes de consommation. La consommation de vin rouge en France a chuté de 32 % au cours de la dernière décennie, et l’une des raisons serait que les gens mangent moins de viande rouge.

Évidemment, c’est bien que les Lyonnais et autres dont les nappes à carreaux rouges me crient au ventre, même à plusieurs centaines de kilomètres, consomment moins de steak et saucisson; meilleur pour leur santé, la planète et le bien-être animal. Mais c’est peut-être aussi un petit avertissement.

Le monde de l’alimentation, comme tout autre, est soumis à la loi des conséquences involontaires. C’est le Jenga culinaire : tirez sur un élément, même délicatement, et plusieurs autres choses peuvent vaciller, menaçant une culture, ancienne et belle, qui est tout aussi enrichissante pour l’humanité que la musique ou la littérature. Le Oxford Compagnon du vin compte 4 000 entrées. On mange du reblochon depuis le 14ème siècle. Quel art de faire un bouillon immaculé, et de le déployer dans une sauce magnifique. De telles choses nous relient, de manière puissante, à nos ancêtres.

Concernant Bordeaux, pas de panique pour l’instant. Je ne pense pas que Lafite, Haut-Brion et les autres soient en difficulté, et la vie serait peut-être plus agréable si nous buvions tous un meilleur vin, moins souvent (les fonds le permettant). Pour ma part, j’ai deux principes directeurs en matière de vin, tous deux pincés aux romanciers masculins. Je suis d’accord avec Jay McInerney que tout vin aspire à être rouge ; au final c’est le meilleur. Et je pense qu’il faut être généreux avec ça. Comme l’a dit Kingsley Amis, si vous ouvrez une bouteille, pour l’amour du ciel, ayez la grâce de jeter ce putain de bouchon.

Rachel Cooke est une chroniqueuse d’Observer