Une partition humaniste de Willy Ronis, musicien devenu photographe - 1

Le destin photographique de Willy Ronis s’est joué à très peu. Né à Paris en 1910 dans une famille juive émigrée d’Europe de l’Est, il est initié très tôt à la musique par un amateur d’opéra, un père né à Odessa, et une mère d’origine lituanienne, pianiste. Le petit Willy Roness (il adopte le patronyme Ronis à la fin de la guerre) apprend le violon à l’âge de 7 ans, et son dégoût pour le solfège n’a d’égal que sa facilité déconcertante à transcrire des partitions. Son rêve d’adolescent : devenir compositeur. « Je voulais écrire de la musique, pas être interprète », avouait-il peu avant sa mort à l’âge de 99 ans. Dans sa jeunesse, prenant la parole tous les soirs au restaurant Ledoyen sur les Champs-Elysées et ouvrant Duke Ellington à la salle Pleyel, il écrit sans relâche jusqu’à ce que son père gravement malade lui confie la direction du studio photographique dans lequel il tient, boulevard Voltaire. Un musicien rêvant de portées innovantes se retrouve armé d’une cible. L’image lui tend les bras ; il saura le comprendre.

C’est ce double parcours que le musée de Pont-Aven dans le Finistère met en lumière dans une exposition réalisée en collaboration avec la Médiathèque du patrimoine et de la photographie (MPP), institution placée sous l’égide du ministère de la Culture et notamment chargée des archives du patrimoine photographique de l’État. La Fondation Willy Ronis contient 19 000 tirages, 108 000 négatifs et 9 000 diapositives. « Le photographe a préparé sa donation à l’État en 1983 et l’a confirmée dans son testament en 2006, préférant la pérennité de son fonds à sa dissipation dans le marché », explique Sophie Kervran, directrice du musée et commissaire d’exposition aux côtés de Camille. Armandari, réalisateur de documentaires à l’institution, et Ronan Guinet, responsable des collections du MPP.

Willy Ronis, Carnaval, Boulevard Garibaldi, Paris, 1955.

/ © Don de Willy Ronis, Ministère de la Culture, PAM, déc. RMN-HP

Willy Ronis a eu des hauts et des bas. Peu avant la guerre, il y avait l’atelier en faillite de son père et ses activités de photographe indépendant, illustrations de la capitale à l’appui, où son œil dévoué faisait merveille, comme lorsqu’il immortalisa le défilé de la victoire du Front populaire, le 14 juillet 1936. plus tard, après une parenthèse à Nice, où il s’enfuit en tant que juif et au cours de laquelle il rencontre sa future épouse, Marie-Anne Lanciot, artiste et communiste, il rejoint l’agence Rapho. La presse revit et Ronis la marque, s’attardant sur la figure humaine. Il reste fidèle aux sept notes, photographiant les fêtes foraines et les caves de jazz, ponctuant ses photographies comme des partitions musicales : « Le mouvement des scènes de rue est pour moi un contrepoint. En contrepoint, la beauté musicale naît du développement simultané de plusieurs phrases produites par divers instruments. .”

Willy Ronis, « Django Reinhardt et son fils, Paris, 1945 ».

/ © Don de Willy Ronis, Ministère de la Culture, PAM, déc. RMN-HP

Qu’il s’agisse de l’affection de Django Reinhardt pour son fils en 1945 ou de la ferveur débridée du bal du 14 juillet à l’île Saint-Louis en 1961, la fraternité aime l’objectif de Ronis : un monde juste », souligne Ronan Guinea. Un processus qui n’est pas toujours compris. Si ses confrères – Brassai, Cartier-Bresson ou Doisneau – ne perdent jamais leur notoriété, il réapparaît dans les années 1980, devenant peu à peu une figure importante de la photographie française. « Je montre ce qu’il faut préserver », martèle comme un credo celui qui n’a jamais cessé d’écouter sa petite musique intérieure.