Professeur, vétérinaire, ancien directeur de l’École nationale vétérinaire de Nantes (Oniris) et président de la commission recherche et formation de l’Académie vétérinaire française Pierre Say a signé en 2021 un rapport au ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation sur la place de la vaccination dans le lutte contre l’influenza aviaire hautement pathogène. Bien que suivant les recommandations de ce rapport, notre pays va mener des expérimentations avec deux candidats vaccins sauvagine dans le Gera et les Landes, ce spécialiste nous explique les difficultés de ces essais.

L’Express : L’épidémie actuelle de grippe aviaire est particulièrement douloureuse pour les éleveurs qui ont dû détruire 12 millions de volailles. A l’instar de la France, plusieurs pays européens commencent à expérimenter des vaccins. Est-ce une solution au problème ?

Pierre Say : D’un point de vue sanitaire, un vaccin peut être un outil important de prévention des crises, mais sous certaines conditions et en complément des mesures normales de biosécurité. [mesures préventives et de sécurité, NDLR.]. Jusqu’à présent, l’Europe n’a pas été en sa faveur, en partie parce que la vaccination risque de masquer l’infection et de nuire aux exportations. Cependant, la situation évolue, car le virus H5N8 revient souvent dans certains pays européens, introduit par des oiseaux migrateurs sauvages d’Asie, où ce virus semble avoir pris racine (enzootie).

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En France, on pensait que le virus ne frapperait qu’occasionnellement et que les mesures de protection mises en place dans les élevages et l’abattage précoce pourraient suffire à stopper la circulation du virus. Malheureusement, il est probable que l’épidémie revienne très souvent, voire chaque année. De plus, cette année, les massacres ont été beaucoup plus massifs que d’habitude. Nous approchons ainsi des limites de la politique française actuelle de lutte contre la grippe aviaire. Le rapport remis l’an dernier au ministère de l’Agriculture avait précisément pour but d’indiquer les stratégies de vaccination possibles pour la France. Il est intéressant de noter que notre pays a été la force motrice sur cette question en Europe. Si les démarches de vaccination avancent aujourd’hui chez nos voisins, c’est parce que le gouvernement français a soulevé la question et l’a portée au niveau communautaire lors de la Présidence française de l’Union.

À quoi pourrait ressembler la future stratégie vaccinale de la France ? Parlera-t-on de l’introduction annuelle de doses prophylactiques à des millions d’animaux ?

Les recommandations contenues dans le rapport ont été remises au ministère en 2021. À l’époque, les précédents épisodes de la crise n’avaient touché que la sauvagine du sud-ouest. Il n’y a pas encore eu d’épidémie de masse chez les galliformes, par exemple en Vendée. Par conséquent, nous avons recommandé la vaccination préventive uniquement dans les zones de reproduction de la sauvagine à risque du sud-ouest. Cela reste vrai, mais il n’existe pas encore de vaccin disponible et approuvé pour la sauvagine. Mais l’actualité récente change la donne, car plus de 10 millions de galliformes ont été tués dans l’ouest de la France, pour lesquels les vaccins sont meilleurs, mais pas encore autorisés. Il faudra donc probablement disposer d’un vaccin spécifique pour chacune de ces deux espèces.

Un système d’alerte précoce et de détection est nécessaire pour développer la vaccination préventive. Elle existe depuis que l’Office international de la santé animale (OIE) répertorie les oiseaux sauvages morts porteurs du virus en provenance d’Europe du Nord ou de Russie avant que leurs proches ne survolent la France le long des couloirs de migration. Ces informations, étayées par les informations fournies par les services publics français (notamment l’Anses), doivent être utilisées pour initier la vaccination.

Faudra-t-il atteindre l’immunité collective dans les élevages, comme pour le Covid chez l’homme ?

Absolument. Nous savons déjà que les vaccins ne peuvent pas supprimer complètement la circulation du virus, même s’ils la réduisent considérablement. Outre l’effet protecteur des vaccins candidats et le suivi de leur immunité, cette question de l’immunité collective sera également explorée dans les essais sur le terrain du vaccin à partir de ce mois-ci. L’expérience vous indiquera également quelle voie d’administration doit être choisie pour la vaccination.

De nombreux pays refusent d’importer des volailles vaccinées. Pourquoi tant de réticence ?

Dès le moment de la vaccination, il est difficile de distinguer les animaux vaccinés des malades. D’où les réticences, y compris en Europe. Cependant, les tests immunologiques, qui seront améliorés lors des essais de terrain qui ont commencé, permettent de distinguer les animaux vaccinés des animaux malades.

Pourtant, les réticences de fond sont aujourd’hui levées, notamment à l’initiative de la France, qui vient de prendre la présidence de l’Union. Il est probable que l’Europe autorisera à terme la vaccination, avec un certain nombre de précautions pour assurer un suivi immunologique des exportations. De plus, cette vaccination ne se fera qu’en complément du maintien des mesures barrières actuelles.

Pourquoi l’efficacité des mesures barrières actuelles semble-t-elle limitée ?

La structure des exploitations agricoles en France, et en particulier dans le sud-ouest du pays, pose un certain nombre de problèmes, qui sont évoqués dans un rapport présenté au ministre. Ainsi, l’extrême fragmentation des élevages en divisions distinctes selon l’âge des animaux conduit par exemple à la multiplicité des mouvements d’animaux et de personnes entre les exploitations et leurs divisions, ce qui contribue à la propagation de l’épidémie. Lorsque des oiseaux migrateurs porteurs du virus survolent Chaloss, ils excrètent des sécrétions qui sont ingérées ou inhalées par le bétail. Ils sont ensuite mélangés à des échantillons sains lors de divers envois. Les moyens de transport utilisés pour ces expéditions sont des facteurs de distribution. De plus, les gens peuvent également contribuer à la circulation du virus, par exemple en le transportant à travers des chaussures ou des équipements. Les protocoles actuels visent à réduire ces risques. Mais ils ne suffisent plus.

Quand un vaccin pourrait-il être disponible ?

Ça prend du temps. L’Etat et les régions cofinançant à parité, ainsi que la société interprofessionnelle du foie gras (CIFOG) et les laboratoires pharmaceutiques potentiellement concernés (CEVA et Boehringer-Ingelheim) viennent de signer le 15 avril une convention qui prévoit le démarrage des études préliminaires essais sur le terrain début mai. Il faut 8 à 9 mois pour obtenir des résultats complets, en partie grâce à l’implication de l’Anses et de l’Ecole vétérinaire de Toulouse. Ainsi, au mieux, le vaccin ne sera efficace qu’à l’hiver 2023/2024. Après cela, le ministère de l’Agriculture devra décider – ou non – de l’utiliser.

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Ce qui est également certain, c’est que la vaccination doit s’accompagner d’une stratégie diplomatique d’envergure visant à protéger les exportations françaises de canards, de poulets et de races françaises à haute valeur ajoutée génétique auprès des pays importateurs. Au total, ces exportations s’élèvent à environ 250 millions d’euros ; un montant qui dépasse largement le coût estimé de la vaccination contre la grippe aviaire pour l’État.

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