Au Canada, une grave pénurie d’infirmières force la fermeture temporaire de nombreux services d’urgence, ce qui exerce une pression supplémentaire sur un système de santé surchargé.

L’épuisement pandémique, la maltraitance des patients ou encore l’insatisfaction salariale sont autant de raisons pour lesquelles ces soignants quittent la porte en masse.

« Les infirmières sont distantes, démoralisées et désespérées », a déclaré Katherine Hoy, présidente de l’Association des infirmières et infirmiers de l’Ontario (AIIO). « La situation est critique », ajoute un médecin avec 20 ans d’expérience.

Depuis le début de l’été, dix services d’urgence ont été contraints de fermer la nuit, le week-end ou même plus longtemps faute de personnel soignant.

A cela s’ajoute un temps d’attente toujours plus long, jusqu’à 12, 16, 20 heures avant l’inspection.

Amélie Inard, 32 ans, a ressenti de fortes douleurs liées à la présence de sang dans ses urines lors de sa récente visite aux urgences « très lentes » de Montréal.

« C’est fou aujourd’hui », a répondu l’infirmière, lui demandant au passage de décrire ses symptômes « en une phrase, très rapidement car nous sommes très occupés ».

Frustrée, elle est partie sans voir de médecin.

Cette frustration des patients, couplée à une charge de travail de plus en plus lourde, entraîne une recrudescence des violences contre le personnel médical, prévient le président de l’ONA.

Des violences, que plusieurs infirmières interrogées par l’AFP ont confirmées sous forme de coups, griffes, crachats, jets de plateaux, d’assiettes, voire d’excréments.

– « Conditions de travail insensées » –

Ambulances dans un hôpital de Toronto en avril 2021 (AFP – Cole Burston)

Dans la capitale Ottawa, la crise est telle qu’il n’est plus surprenant qu’il n’y ait plus d’ambulances car elles sont bloquées aux urgences, incapables de faire sortir leurs anciens patients. Entre janvier et juillet, ce scénario s’est répété plus de 1 000 fois.

La semaine dernière, un hôpital de Peterborough, à l’est de Toronto, a été contraint de soigner des patients sur des civières dans un stationnement faute de place, raconte Katherine Hoy.

Au Manitoba voisin, le docteur Merrill Pauls affirme que les lits d’urgence ont dû être fermés «plusieurs fois» cet été en raison d’un manque d’infirmières.

Un dimanche, « nous avons été littéralement obligés de rassembler plusieurs patients gravement malades dans une seule unité de soins intensifs », déplore-t-il.

« Nos infirmières travaillent vraiment dans des conditions de dingue », dit le médecin, ajoutant que c’est « une grande chose qui se passe dans tout le pays » et qui « empire ».

– Roulement élevé –

Un récent sondage mené par le plus grand syndicat du Canada, le SCFP, a révélé que 87 % des infirmières envisageaient de quitter leur emploi « en raison des conditions de travail ingrate et exténuantes ».

« Même les nouveaux diplômés abandonnent, dit le président de l’ONA.

Dans un hôpital de Toronto en avril 2021 (AFP - Cole Burston)Dans un hôpital de Toronto en avril 2021 (AFP – Cole Burston)

Bien que ses pouvoirs en la matière soient limités, le gouvernement fédéral s’est récemment engagé à faciliter la reconnaissance des diplômes étrangers pour aider 11 000 médecins et infirmières immigrants à combler le vide : 34 400 postes d’infirmières sont vacants.

Mais le manque de personnel n’est pas la seule cause de problèmes dans les hôpitaux.

De nombreux Canadiens comme Amélie Inard n’ont d’autre choix que de se rendre à l’urgence parce qu’ils n’ont pas de médecin de famille, ce qui engorge encore plus le système.

« Il est très difficile de trouver un médecin », dit-elle.

A cela s’ajoute la pénurie constante de lits, qui se traduit souvent par de longs délais d’attente pour le transfert des patients des urgences vers les différents services.

En réponse, l’Ontario, la province la plus peuplée du pays, a adopté une loi fin septembre autorisant le transfert des patients en soins de longue durée vers des établissements situés à 150 kilomètres de distance.

Agents de santé dans un hôpital de Toronto en avril 2021 (AFP - Cole Burston)Agents de santé dans un hôpital de Toronto en avril 2021 (AFP – Cole Burston)

Une mesure qui « allégera la pression sur les services d’urgence débordés », dit le gouvernement provincial, mais qui obligera aussi les personnes âgées à vivre loin de leurs proches, répondent les critiques.

Le Dr Pauls note que même si la plupart des personnes qui ont besoin d’un traitement finiront par être vues, un retard peut avoir des conséquences à long terme, comme un accident vasculaire cérébral.

La situation est telle que la confiance des patients commence à être ébranlée, poursuit le médecin. Il se souvient leur avoir toujours dit de « revenir si ça empire ».

« Mais maintenant, ils se moquent de nous », dit-il. « Ils disent : ‘Tu es fou. Je ne reverrai plus jamais ça. »