gaspar Noé porte son regard féroce et cautérisant sur le spectacle de la vieillesse : le monde de ceux qui vont entrer dans le vide. Il y apporte une perspicacité structurelle particulière que je ne pense pas avoir jamais vue représentée aussi clairement. Mourir est bifurqué : une expérience en écran partagé en temps réel divisée entre le soignant et la personne soignée. Un vieux couple marié, des gens qui ont eu toute une vie pour se demander lequel d’entre eux mourra en premier et lequel d’entre eux devra assumer le fardeau des soins, constatent que ce n’est pas si clair pendant la terrible fin de partie elle-même.

Le réalisateur chevronné Dario Argento et l’actrice, scénariste et réalisatrice Françoise Lebrun incarnent un couple qui vit ensemble dans un petit appartement parisien chaotique couvert d’un aimable fouillis de livres et de papiers. C’est évidemment un cinéaste ou peut-être un écrivain, travaillant sur un livre sur le cinéma et le rêve intitulé Psyché ; elle est psychiatre à la retraite. Ils ont un fils, Stéphane (Alex Lutz) qui est lui-même père d’un petit garçon, aux prises avec des problèmes de drogue, d’argent et de soucis conjugaux. Le film s’ouvre – de manière inquiétante – sur un clip vidéo de Françoise Hardy interprétant la chanson des années 60 Mon Amie la Rose, sur la mortalité des fleurs. Puis Argento et Lebrun prennent un modeste repas sur leur terrasse branlante : ce sont les derniers moments de lucidité de Lebrun. Nous apprenons qu’elle a subi un accident vasculaire cérébral il y a quelques années et qu’elle a sombré dans la démence depuis ; récemment, le taux de déclin s’est accéléré.

Noé divise l’écran en deux, deux histoires qui se déroulent simultanément, montrant dans une moitié le personnage d’Argento bricoler pensivement sur l’appartement, dans le déni de ce qui se passe : lire, somnoler, claquer sur sa machine à écrire manuelle et laisser également des messages téléphoniques subreptices, comme un adolescent amoureux, pour une femme appelée Claire dont il est misérablement amoureux depuis des décennies. Pendant ce temps, à gauche de l’écran, le personnage de Lebrun, à l’expression impassible et léonine des malades de la démence, erre dans les rues sans le dire à son mari, ou jette toutes ses notes, ou laisse dangereusement le gaz allumé, tous dans un misérable brouillard d’ignorance.

Stéphane vient les voir, bouleversé par ce qui se passe, et par sa propre incapacité à les convaincre d’entrer dans une maison de retraite ; c’est un sujet compliqué par sa propre histoire avec sa mère psychiatre, frappée par le fait que lui et eux vivent maintenant dans un monde de drogues, légales et illégales. Noé concoctera périodiquement une caméra coupée dans l’un ou l’autre des cadres et reprendra d’un autre point de vue; occasionnellement, les deux scènes se chevauchent, créant une dissonance de perspective Hockneyesque. Brutalement, le médium est le message. Ces deux personnes ne partageront plus jamais le même écran.

C’est un film sans l’éclat pornographique et psychédélique du travail précédent de Noé, mais ces images précédentes avaient une astuce récurrente : forcer le public au bord de la nausée en le faisant regarder dans un vortex de lumière stroboscopique scintillante. Dans ce film, la mort est le vortex : le foyer sombre, dont l’attraction gravitationnelle devient plus forte – et plus difficile à éviter de penser – avec chaque année qui passe. Et Vortex nous dit autre chose sur la vieillesse, ce qu’un film sévère et hautain comme Amour de Michael Haneke ne saisirait pas : la mort est chaotique, comme la vie. Cela se termine par des choses défaites et dans un désordre désordonné. C’est une œuvre d’une maturité hivernale, mais d’une vraie compassion.

Vortex sort le 13 mai en salles.