Mercredi 30 mars 2022, la Haute Autorité de Santé Publique a confirmé un lien entre la consommation de pizzas surgelées Buitoni (groupe Nestlé) et plusieurs dizaines de cas d’infections à E. coli d’origine alimentaire. Le 1er avril, le parquet de Paris a ouvert un dossier sur les faits d’« homicide involontaire », « tromperie » et « mise en danger de la vie d’autrui ». Au 13 avril, 53 cas d’infection ont été confirmés, deux enfants sont décédés, le Service de santé publique français, en collaboration avec l’Institut Pasteur, enquête sur 26 autres cas. A cette occasion, Science et Avenir décrypte ce qu’est Escherichia coli.

Escherichia coli : une bactérie commensale et un modèle expérimental pour les scientifiques

Découverte en 1885 par le pédiatre Theodor Escherichia, Escherichia coli est une bactérie dont 95% des souches ne sont pas dangereuses pour l’homme. Elle est communément appelée « bactérie commensale », ce qui signifie qu’elle vit en harmonie avec son hôte. Il colonise généralement les intestins des animaux à sang chaud. Elle se transmet au nouveau-né par le microbiote maternel, puis par voie orale, par l’alimentation. C’est un élément important du microbiote intestinal, dont on sait désormais qu’en plus d’être impliqué dans la digestion, il assure des fonctions physiologiques et immunitaires.

Cette bactérie est également présente dans les selles ; on peut donc le trouver dans le sol et dans l’eau, et c’est à ce titre qu’il est utilisé comme indicateur de contamination fécale.

Pour les scientifiques, il s’agit d’un organisme vivant modèle. E coli est facile à cultiver, une simple boîte de pétri avec du gel nutritif suffit. Il se reproduit rapidement : environ toutes les 20 minutes ; donc 200 générations sont déjà observées en 3 jours. Son avantage est qu’il possède un génome (ensemble de gènes d’un organisme) qui peut être facilement muté et transmis. Il échange facilement du matériel génétique avec d’autres familles de bactéries. Ainsi, il peut intégrer d’autres gènes (gènes de résistance aux antibiotiques). En un mot, une vraie trouvaille pour les chercheurs. Elle a par exemple permis aux pasteurs François Jacob, Jacques Monod et André Lwoff de comprendre comment la production d’enzymes (l’opéron lactose) est régulée, ce qui leur a valu le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1965.

Quelles maladies sont causées par E. coli?

5% des souches d’E. coli sont pathogènes pour l’homme. Ils sont divisés en deux catégories selon qu’ils affectent les intestins ou affectent d’autres organes. L’infection touche le plus souvent la vessie. 12 % des femmes souffrent chaque année d’une infection urinaire et 80 % des cas sont causés par E. coli. Chez les nouveau-nés, affectant le cerveau et la circulation sanguine, E. coli est la deuxième cause de méningite et de septicémie. A l’hôpital, Escherichia coli est responsable de 26% des infections nosocomiales, souvent associées à la pose d’une sonde urinaire, d’une sonde d’intubation, voire d’une infection de sonde.

Mais son organe de prédilection reste les intestins, où il provoque des diarrhées plus ou moins sévères, de la gastro-entérite à la diarrhée infantile en passant par la diarrhée du voyageur.

Parmi ces souches pathogènes entériques d’E. coli, certaines d’entre elles préoccupent particulièrement les autorités de santé : ce sont les E. bacilles dits entérohémorragiques (EHEC), et elles font régulièrement la une des journaux à chaque nouveau rappel de produits contaminés. Ces souches bactériennes d’E. coli, identifiées pour la première fois aux États-Unis chez un patient en 1973 et à nouveau en 1982 après une épidémie d’intoxication alimentaire causée par des galettes de hamburger insuffisamment cuites, provoquent une diarrhée sanglante ou de graves lésions rénales ; c’est ce qu’on appelle le « syndrome hémolytique et urémique » (SHU).

CLIQUEZ SUR L’INFOGRAPHIE POUR UNE VUE GRANDE. © Horia Bahri/ étude photographique d’Isabelle Tiran/ adapté de Croxen, MA, & Finlay, BB (2010). Mécanismes moléculaires de la pathogénicité d’Escherichia coli. Nature Reviews Microbiology, 8(1), 26-38.

Qu’est-ce que le syndrome hémolytique et urémique (SHU) causé par E. coli ?

Lorsque les humains sont infectés par des souches entérohémorragiques, ils produisent une toxine puissante dans les intestins (toxine Shiga) qui attaque les cellules intestinales (diarrhée sanglante). De plus, la toxine est capable de traverser la circulation sanguine et de pénétrer dans plusieurs types de cellules : certaines cellules rénales, ce qui entraînera une insuffisance rénale, voire certaines cellules cérébrales, qui provoqueront des troubles neurologiques.

Le mode d’action de la bactérie est décrit : les cellules attaquées possèdent un récepteur avec lequel la toxine peut se lier. Une fois dans la cellule, il se lie à un élément du mécanisme moléculaire (le ribosome) et empêche la synthèse des protéines. C’est la mort cellulaire (apoptose).

CLIQUEZ SUR L’INFOGRAPHIE POUR EN SAVOIR PLUS. Infographie de Betty Lafon, publication originale dans l’article Science et Avenir d’Hervé Ratel, juillet 2011 / adapté par Horia Bahri / sources : Anses et LNR.

Quels sont les symptômes du SHU ?

L’infection provoque une diarrhée banale ou évolue vers une diarrhée sanglante. Au début de l’infection, le patient peut commencer à vomir. De plus, il existe des douleurs abdominales avec ou sans fièvre légère.

Ces symptômes sont sensibles entre 3 et 4 jours après l’exposition, mais selon l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), cette période d’incubation peut être beaucoup plus courte (2 jours) ou beaucoup plus longue (12 jours).

Le patient est contagieux pendant une semaine, mais chez les enfants, cette période peut être plus longue. Il est également possible d’être un porteur sain de ces souches bactériennes. Les symptômes disparaissent assez rapidement, 5 à 12 jours après l’infection, et moins de 10 % des personnes infectées développent des formes sévères. Le SHU entraîne dans 50 % des cas une insuffisance rénale, dans 25 % des cas des complications neurologiques. En France, dans 1 % des cas, le patient ne survit pas après l’infection, et le plus souvent ce patient est un enfant de moins de 15 ans.

Quels traitements sont possibles ?

Bien qu’il s’agisse d’une infection bactérienne, les antibiotiques ne sont pas recommandés car tuer les bactéries libère des toxines et aggrave la maladie. En cas de forme bénigne, une réhydratation est recommandée pour les patients. Dans les formes sévères, la stratégie thérapeutique est de compenser la carence causée par les toxines : par exemple, le patient est sous dialyse pour compenser un dysfonctionnement rénal, et des transfusions sanguines sont pratiquées pour compenser la chute des globules rouges. Cependant, de nouveaux traitements sont en cours d’évaluation. Il s’agit d’antibiotiques (azithromycine), qui n’entraînent pas de libération de toxines.

Quels sont les risques d’une forme sévère après infection à bactérie entérohémorragique (EHEC) en France ?

En 2020, 167 cas de SHU ont été déclarés en France. Mais le nombre change chaque année et augmente depuis 1996, date à laquelle la surveillance du syndrome a commencé. Les principales victimes sont majoritairement les enfants de moins de 3 ans, 68% en 2020. Les patients restants ont la plupart du temps moins de 15 ans. Mais ces chiffres sont à prendre avec précaution, car lors de l’épidémie d’EHEC en Allemagne en 2011, l’âge moyen des patients ayant développé un SHU était de 42 ans.

CLIQUEZ SUR LE SCHÉMA POUR EN SAVOIR PLUS. Nombre de cas déclarés de SHU chez les enfants de moins de 15 ans en France de 1996 à 2020. © Bilan SHU 2020 – Institut Pasteur – CHU Robert-Debré – Santé Publique France

Comment contracter E. coli de type EHEC ? Et avec quels produits ?

Si, lors de l’identification de cette souche d’E. coli, on parlait de « maladie du hamburger » parce que tous les patients infectés mangeaient du bœuf haché contaminé, la voie de transmission est beaucoup plus large car les animaux, qu’ils soient à la ferme ou dans la nature, peuvent être en bonne santé. transporteurs. Ainsi, la principale voie de transmission de l’infection est l’ingestion d’aliments contaminés : viande ou produits laitiers, notamment lait cru.

Cependant, les fruits et légumes crus non pelés ou l’eau non traitée peuvent être des sources de contamination s’ils entrent en contact avec des excréments d’animaux contaminés. Nous nous souvenons des graines de fenugrec germées qui ont été impliquées dans l’épidémie de 2011 en Allemagne.

L’infection peut également se produire par contact avec des animaux d’élevage ou leur environnement : plusieurs cas ont été observés au Japon (2006), aux États-Unis (2007) et au Royaume-Uni (2009).

La transmission interhumaine est également possible et a été observée en institution ou au sein des familles.

CLIQUEZ SUR LE SCHÉMA POUR EN SAVOIR PLUS. Les épidémies d’EHEC survenues entre 2006 et 2011 et répertoriées dans la littérature scientifique. Ce tableau montre la variété des sources d’infection. BEH (Bulletin épidémiologique hebdomadaire)/HS – 9 mai 2012

Quelle prophylaxie peut-on prendre contre les infections à E. coli EHEC ?

La première prévention est l’application stricte des mesures d’hygiène et de contrôle à toutes les étapes de la chaîne alimentaire, de la production à la préparation des aliments, tant dans les locaux industriels qu’à domicile. Pour les particuliers, le site de l’Institut Pasteur recommande huit types de précautions, en leur rappelant qu’elles sont particulièrement pertinentes pour les jeunes enfants, et met en garde contre deux aliments : les steaks hachés et les fromages au lait cru. Les autorités françaises ont mis en place un site Internet appelé Rappel Conso qui répertorie les envois d’aliments contaminés.

Rappel de produit : Pizza Fraîch’Up Buitoni du groupe Nestlé dans un rayon de supermarché du 15e arrondissement de Paris, le 6 avril 2022 © Laure Boyer / Hans Lucas / AFP

Depuis 1996, en France, la surveillance du SHU chez les enfants de moins de 15 ans est assurée par l’Agence nationale de santé publique. Dans le cadre de la surveillance des infections collectives d’origine alimentaire, le SHU doit être déclaré en cas de suspicion de SHU ; Des échantillons de patients sont ensuite analysés par le CNR (Centre National de Référence) pour déterminer si l’intoxication est de même origine.

Cependant, certaines ONG regrettent que des mesures plus restrictives n’aient pas été prises pour obliger les producteurs alimentaires à être plus exigeants et dénoncent le manque de contrôle sur les chaînes de production alimentaire. Le cas de l’usine de pizza Fraîch’Up Buitoni de Nestlé en est un parfait exemple. L’inspection sanitaire de l’usine, après l’apparition de plusieurs cas d’infection et de deux décès, a montré « le manque d’entretien et de nettoyage des zones de production, de stockage et de passage ».

Ainsi, toutes les mesures de précaution prises par les individus et les professionnels de santé collectivement ne peuvent être efficaces que si l’aliment mis sur le marché ne présente pas en lui-même un risque. Quand peut-on s’attendre à cela, sachant par exemple que le nombre de visites médicales inopinées réalisées par la Direction générale de l’alimentation (DGAL) a chuté de façon spectaculaire entre 2011 et 2019 ?