EEmmanuel Macron aime défier les précédents historiques. En 2017, il a bouleversé le paysage politique français en remportant la présidence et en bouleversant la traditionnelle division gauche-droite du pays. En avril de cette année, il est devenu le premier chef d’État français à être réélu depuis deux décennies. Et maintenant, il a de nouveau résisté à la tendance, mais pas d’une manière qui lui plaira : après les élections de dimanche, l’alliance centriste de Macron, Ensemble, a perdu sa majorité parlementaire – un événement très inhabituel pour un président dans l’histoire de la Ve République.

Ensemble a remporté 246 sièges, 43 de moins que nécessaire pour une majorité. Le consensus des principaux instituts de sondage français avait été que l’alliance de Macron remporterait entre 255 et 295 des 577 sièges de l’Assemblée. La performance d’Ensemble est donc restée en deçà des pires attentes.

Cela signifie que la France est désormais confrontée à la perspective de semaines de négociations désordonnées pour former une nouvelle coalition ou un gouvernement minoritaire. Il y a même la possibilité d’un parlement « suspendu » ou bloqué en permanence – sans majorité claire pour toute combinaison probable de forces dans la nouvelle assemblée nationale.

Avant les élections de dimanche, des sources gouvernementales de haut niveau étaient convaincues que Macron serait en mesure de gouverner sans problème s’il ne manquait qu’une vingtaine de sièges à la majorité. Mais ils craignaient beaucoup qu’un manque de plus de 20 sièges ne mette le gouvernement Macron dans une zone de turbulences permanentes, de marchandages et peut-être d’impasse. Des sources françaises de haut rang affirment désormais que ce que l’Élysée craint le plus, c’est un parlement obstructionniste ou inactif à un moment où des réactions rapides sont nécessaires face aux crises économiques et internationales qui évoluent rapidement.

Macron tentera de former une coalition permanente ou ad hoc avec le centre-droit, Les Républicains, qui a fait mieux que prévu, obtenant 64 sièges, et pourrait amener l’alliance centriste au-dessus des 289 sièges nécessaires pour une majorité globale. Mais cela signifierait que le président subirait des pressions pour déplacer son gouvernement vers la droite, malgré le fait que Macron était censé virer un peu à gauche lors de son deuxième mandat, après avoir remporté la présidence en avril avec le soutien des électeurs de gauche. Le risque est que son nouveau gouvernement ne parvienne pas du tout à établir une ligne cohérente. Macron pourrait également être obligé de nommer un nouveau Premier ministre.

La titulaire, Élisabeth Borne, en poste depuis un mois seulement, a remporté de justesse sa propre élection en Normandie. Mais elle peut désormais être considérée comme trop à gauche et trop inexpérimentée pour maintenir ensemble une coalition entre Macron et le centre-droit – de hauts responsables politiques du centre-droit ont déjà commencé à appeler à son départ. Le ministre des Finances, Bruno Le Maire, lui-même issu du centre-droit, a appelé ses anciens collègues « à former une coalition » autour de Macron dans un souci de stabilité et serait un candidat de tête pour prendre la relève au poste de Premier ministre si Borne ont été expulsés.

Le premier point d’éclair sera la motion de confiance cruciale dans le nouveau gouvernement à l’Assemblée plus tard ce mois-ci. À moins que les Républicains de centre-droit votent avec Macron ou s’abstiennent, le président n’aura pas assez de députés pour remporter ce vote, ce qui obligerait effectivement Borne, la deuxième femme Premier ministre française, à démissionner.

Les Républicains de centre-droit sont profondément divisés en tant que parti, entre les députés pro-européens modérés « Macron-compatibles » et l’aile radicale et nationaliste. Si Macron est donc peut-être en mesure de persuader certains députés de centre-droit de le soutenir au cours des cinq prochaines années, tous ne le feront probablement pas. En effet, la propre direction des Républicains est sur le point de changer, ce qui va probablement déplacer le parti plus à droite. De plus, les espoirs du parti de s’unir et de reconstruire ses forces pour monter un défi présidentiel sérieux en 2027 pourraient être compromis s’il s’associait trop étroitement à Macron.

Des négociations longues et tortueuses semblent donc inévitables. Mais le président et son premier ministre inexpérimenté ne pourront probablement pas compter sur les Républicains en bloc. Ils espèrent plutôt abattre une poignée de députés modérés de centre-droit ainsi qu’un ou deux indépendants. Quoi qu’il arrive, la nouvelle assemblée sera bondée de députés d’extrême droite et de gauche radicale, profondément hostiles à Macron, deux mois seulement après sa réélection.

Il y a eu une percée étonnamment importante hier pour le Rassemblement national d’extrême droite de Marine Le Pen, qui a remporté 89 sièges. C’est de loin le groupe d’extrême droite le plus important au sein d’un parlement français depuis la Seconde Guerre mondiale.

L’alliance gauche-verts, Nupes, bien qu’en deçà de son ambition de remporter la majorité et de forcer Macron à nommer un Premier ministre de gauche, formera toujours le plus grand bloc d’opposition avec ses 142 sièges. Alors que certains dirigeants de gauche ont suggéré que Macron devrait se plier au « jugement du peuple », travailler avec eux et déplacer son gouvernement fortement vers la gauche, cela semble peu probable.

Ce qui est probable, c’est la perspective d’une période d’instabilité politique prolongée, alors que la guerre fait rage en Ukraine et qu’il y a la menace croissante d’un ralentissement économique dans le pays. Macron avait appelé les électeurs français à éviter d’ajouter « l’incertitude intérieure à l’incertitude internationale ». Ils ont plutôt décidé de punir le président nouvellement réélu pour une campagne molle et sans direction, et pour l’incapacité présumée du gouvernement à proposer un plan clair pour lutter contre la flambée de l’inflation.

L’époque où un Macron « à la Jupiter » pouvait imposer sa volonté à travers une majorité parlementaire docile est révolue. Macron devra apprendre à négocier et à faire des compromis – rien de tout cela ne lui viendra facilement.