La relation de la France avec la monarchie s’est rarement déroulée sans heurts. La guillotine de Louis XVI et de sa reine, Marie-Antoinette, en 1793 fut une première tentative de nivellement. Des empereurs, d’autres rois et diverses républiques ont suivi. En 1962, Charles de Gaulle crée une présidence élue avec des pouvoirs régaliens. Aux yeux de ses nombreux détracteurs, Emmanuel Macron, le titulaire, se comporte comme un Roi Soleil des temps modernes – le Roi Soleil – dans le goût de Louis XIV.

C’est peut-être la perspective que Macron organise un somptueux banquet pour le roi Charles au château de Versailles du roi soleil cette semaine qui a finalement incité la France à prendre la décision embarrassante de dernière minute de reporter la visite d’État du monarque britannique. Après des semaines de protestations furieuses à l’échelle nationale contre la volonté de Macron de relever l’âge de la retraite pour économiser de l’argent, l’optique aurait été vraiment terrible. Pourtant, aujourd’hui encore, les sans-culottes crient : « Qu’on lui coupe la tête !

La réforme des retraites n’a jamais été populaire. Macron l’a déjà essayé une fois. Ne faisant plus face à une réélection, il essaie à nouveau. Avec une dette nationale à 113 % du PIB (contre 67 % pour l’Allemagne) et une main-d’œuvre en baisse – il y a 1,7 travailleur pour chaque retraité, contre 2,1 en 2000 – Macron affirme que la France ne peut pas se permettre un âge de la retraite de 62 ans. 64, comme il le propose, semble relativement modeste. Au Royaume-Uni, c’est 66, en Allemagne, 65.

Mais la plupart du public (et certains analystes financiers indépendants) ne sont pas d’accord et Macron admet qu’il n’a pas réussi à les convaincre. Pourtant, il insiste pour avoir son chemin. Son utilisation des pouvoirs exécutifs pour imposer le changement sans vote parlementaire a provoqué plus de fureur et de violence dans les rues. Aux angoisses existentielles s’ajoutent les craintes pour l’avenir de la démocratie française. Les sondages suggèrent que les deux tiers des électeurs s’opposent à la modification des pensions. Plus des trois quarts s’opposent à cet abus de pouvoir perçu.

Pourquoi les Français sont-ils si mécontents ? Les troubles actuels rappellent les manifestations des gilets jaunes de 2018 contre les prix du carburant et, comme eux, témoignent d’un malaise plus profond – ce qu’un observateur a appelé un état de rage permanent. Il serait intéressant d’avoir l’avis de Jean-Paul Sartre ou d’Albert Camus sur ce phénomène. En leur absence, diverses théories sont avancées. La première est que la Constitution de la Cinquième République n’est pas adaptée à son objectif et que la présidence toute-puissante devrait être remplacée par un système parlementaire de style Westminster.

Il est vrai que Macron a remporté la présidence, deux fois, car le seul autre choix au second tour était Marine Le Pen d’extrême droite. C’est vrai que la gouvernance française est extraordinairement centralisée. Les dépenses de l’État représentent 59 % du PIB et les retraites à elles seules 14 %. On prétend qu’une élite technocratique auto-entretenue, dont Macron est l’exemple ultime, ne comprend pas comment fonctionne le contrat social français : acceptation d’impôts élevés et réglementation étatique omniprésente en échange de soins de santé gratuits, d’une éducation gratuite, d’un temps de travail de 35 heures semaine, retraite anticipée – et pensions décentes.

Rage face au manque d’emplois bien rémunérés et de sécurité économique à l’ère postindustrielle. Rage contre l’impuissance relative dans un monde que la France a autrefois fièrement parcouru. Rage contre les contours culturels changeants, contre la fragmentation de l’identité nationale. Camus, en L’Étranger, a écrit sur « l’extase de la rage ». Pourtant, les Français, comme les Britanniques, sont une nation chanceuse. Ils sont mieux lotis que la plupart, ils habitent une belle terre, ils n’ont pas été envahis ces derniers temps. Les choses sont-elles hors de proportion ?

Macron est devenu le paratonnerre d’un peuple agité, ce qui est en quelque sorte son métier. Il n’y aura pas de révolution, pas de guillotines cette fois. Pourtant, si les protestations finiront par s’estomper, le mécontentement sous-jacent ne le sera pas. Comme l’a dit Sartre : « Tout a été compris, sauf comment vivre. »