Elle n’a pas travaillé en France depuis longtemps, mais elle souhaite ardemment que son pays d’origine continue de briller dans le ciel de la science. Emmanuelle Charpentier, co-récipiendaire du prix Nobel de chimie 2020 avec l’Américaine Jennifer Doudna pour l’invention des ciseaux génétiques Crispr-CAS9, n’a jamais hésité à s’investir pour faire avancer la recherche française. Lorsque la Fondation Bettencourt-Schueller lui a demandé d’être la marraine d’un nouveau prix Impulsscience destiné à soutenir les scientifiques de niveau intermédiaire, la microbiologiste et généticienne a immédiatement accepté. « C’est le soutien que j’aimerais prendre, car ma reconnaissance est venue plus tard », explique-t-elle. A l’occasion de la remise des sept lauréats de ce prix, Emmanuelle Charpentier a accordé une de ses (rares) interviews au magazine L’Express. Elle parle des avantages, mais aussi des difficultés d’organiser la recherche dans notre pays, de la nécessité de mieux rencontrer les scientifiques étrangers et, à l’inverse, de ne pas avoir peur d’une fuite des cerveaux…

L’Express : La France consacre 2,3 % de son PIB à la recherche, contre 3,04 % en Allemagne, où vous vivez depuis plus d’une décennie. Comment expliquez-vous un tel écart par rapport à un pays aussi proche ?

Emmanuelle Charpentier : Il ne faut pas oublier qu’Angela Merkel a été au pouvoir pendant seize ans et qu’elle était scientifique de formation, comme son mari. Ils ont dû compter ! En France, il y a depuis des décennies un besoin évident et aigu d’augmenter significativement le budget de la science. Mais ce n’est pas qu’une question d’argent. Il y a aussi la façon dont c’est dépensé et les différences structurelles avec beaucoup d’organisations, ce qui signifie que nous avons ici un système de financement très fragmenté. Mais pour autant, je ne suis pas convaincu que l’Allemagne soit plus productive que la France, malgré un budget public de recherche plus important.

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Durant ces trois années de pandémie, il a été assez frustrant de constater qu’en France, comme ailleurs en Europe, les efforts promis pour augmenter les sommes allouées à la recherche ainsi qu’aux hôpitaux ne se sont pas forcément concrétisés. Répondre plus rapidement aux urgences et surmonter certaines difficultés est en effet un défi pour l’avenir.

C’est avec la pandémie de Covid-19 que l’Europe a montré qu’elle n’avait pas beaucoup avancé ni dans le développement d’un vaccin ni dans la conduite d’essais cliniques à grande échelle. Est-ce vraiment si difficile à cette échelle ?

Le tableau ne doit pas être occulté : la recherche française et européenne est excellente à bien des égards, même si les écosystèmes sont encore très différents des États-Unis, qui peuvent être plus réactifs et plus agressifs. Sur le Vieux Continent, le poids des structures et l’absence de toute polyvalence rendent les choses difficiles à déplacer, et l’écart se creuse malheureusement de part et d’autre de l’Atlantique. Cependant, il serait dommageable que ces différences de culture et de mentalité soient exacerbées. Au contraire, nous devrions essayer de rester compétitifs avec la recherche internationale.

Quelles sont selon vous les priorités pour accroître l’attractivité des études françaises ?

Certes, les études françaises se sont développées ces vingt dernières années, mais sans doute pas assez. D’une part, il permet à ses scientifiques d’avoir la liberté de travailler, leur offrant une stabilité unique au monde ; en revanche, cela ne leur donne pas un salaire très attractif, surtout pour ceux qui habitent dans les grandes villes où le coût de la vie est plus élevé. Ainsi, il faut créer une dynamique d’adaptation à des situations différentes, et non un statut unique et identique pour tous. Maintenant, je pense que les choses vont évoluer d’elles-mêmes parce que la jeune génération de chercheurs qui ont des aspirations différentes et qui ne sont pas nécessairement dans le système universitaire fait pression sur les systèmes pour qu’ils se développent de manière à les rendre plus attrayants et plus adaptés.

« En Allemagne, l’approche est plus individualiste »

Qu’est-ce qui est trop compliqué dans le système français ?

Encore une fois, je ne suis pas sûr qu’une distinction aussi claire doive être faite. En France, comme dans d’autres pays, la bureaucratie conduit à la plus grande aggravation par l’établissement de règles toujours nouvelles. Ils ne sont pas tous mauvais, mais ils interfèrent avec notre travail. Ces tâches sont trop complexes et chronophages : le chercheur ne doit pas passer la majeure partie de son temps à résoudre des problèmes financiers, logistiques ou humains. Je suis aussi confrontée au quotidien à cette pression en Allemagne du fait d’administrations qui finissent par responsabiliser les chefs de laboratoires, de systèmes trop complexes et ne répondant pas aux besoins des chercheurs, de difficultés à recruter du personnel d’appui qualifié. En France, comme ailleurs en Europe, il y a souvent trop de comités qui s’évaluent mutuellement. Il est important d’évaluer la recherche par des organismes compétents et indépendants, mais tout cela gagnerait à la simplicité et à la rationalité. Nous avons tous besoin d’un peu plus de temps pour faire notre travail.

En France notamment, même si mon expérience ne fait que commencer, je dirais que la recherche est plus collective qu’en Allemagne : il y a beaucoup d’institutions (CNRS, Inserm, Inrae, etc.) et les chercheurs ont souvent plusieurs associations qui les amènent à travailler dans des conditions différentes. « Travailler ensemble » et « mutualiser les fonds » semblent être plus répandus qu’en Allemagne, où l’approche est plus individuelle.

Cela conduit-il à plus de créativité exploratoire de ce côté-ci du Rhin ?

J’ai tendance à penser que les études françaises deviennent de plus en plus créatives. Cela le rend attractif : regardez qui dirige nos laboratoires et vous verrez qu’il y a beaucoup d’étrangers ici. Cela semble être moins pertinent en Allemagne. Pour nous, c’est la force. Je sais qu’on parle beaucoup de fuite des cerveaux ici. Mais ce n’est pas. La richesse de la recherche d’un pays dépend aussi du nombre de scientifiques étrangers qu’il accueille. A l’inverse, lorsqu’un chercheur français comme moi est à l’étranger, il est un ambassadeur de l’excellence de l’enseignement français. Et d’ailleurs, beaucoup d’étrangers pensent que je travaille en France ! Il n’y a pas de frontières en science et on peut aussi réussir sa carrière scientifique avec un cursus qui transcende les frontières – j’ai moi-même voyagé à Paris, New York, Vienne, Umeå (Suède), Braunschweig-Hanovre et donc aujourd’hui Berlin. La recherche est de plus en plus un mélange de cultures, de nationalités, de façons de travailler. Les États-Unis, qui ont une tradition d’hospitalité depuis leurs premières années à l’Université, l’ont bien compris, et donc ils sont aussi au top.

En revanche, un problème peut se poser lorsqu’un talent français reconnu souhaite revenir en France, mais ne reçoit pas d’offre correspondant à sa demande.

« Le fait que je ne sois pas revenu n’a rien contre la France »

Est-ce votre cas ?

Je pourrais rentrer en France, et à des conditions probablement plus modestes que vous ne pouvez l’imaginer. Mon temps est devenu très limité pour la recherche, donc cela remet un peu en question mes ambitions passées, qui ont un peu changé. Et ce n’est pas toujours facile d’être un explorateur à l’étranger, même si vous y avez une certaine liberté. Par exemple, la barrière de la langue. Je suis étonné de voir des lauréats étrangers qui reçoivent un prix ou un don et qui parlent français alors que je vis outre-Rhin depuis de nombreuses années et que mon allemand est minime… Enfin, il y a aussi le syndrome des gens qui sont restés trop longtemps. à l’étranger : peur d’être étranger dans son propre pays. Le fait que je ne sois pas revenu ne signifie rien contre la France. J’ai reçu des propositions, notamment de mon organisation mère [NDLR : l’Institut Pasteur]qui m’a offert différentes opportunités au cours de ma carrière, mais qui a toujours été un peu hors du commun.

Nous avons parlé de la recherche et de son financement majoritairement public, mais il y a aussi des entités privées comme la Fondation Betancourt-Schüller, qui vient de lancer un nouveau programme appelé Impulse Science, que vous parrainez. Qu’est-ce qui vous motive dans cette démarche ?

La Fondation Bettencourt-Schueller a souhaité répondre à l’évolution des besoins et accroître le soutien à la recherche. Par exemple, les chercheurs ont besoin de temps et de financement à long terme. Combien de scientifiques ai-je vu ces quinze dernières années avoir créé leur propre équipe avant de quitter la recherche académique en France, en Autriche, en Allemagne ou en Suède. Dans notre univers, ce n’est pas facile de commencer, mais c’est encore plus difficile de continuer. [NDLR : en France, un projet de recherches est financé en moyenne autour de 450 000 euros sur trois ans]. Là, le nouveau programme Impulsscience apporte chaque année un soutien à sept chercheurs, les accompagnant pendant cinq ans, à hauteur de 2,3 millions d’euros. Et ceci dans tous les domaines des sciences de la vie. Il est très important que la Fondation Bettencourt-Schueller continue à soutenir les chercheurs de niveau intermédiaire. Moi-même, j’aimerais avoir un tel soutien en même temps. Ma confession est venue plus tard. Les chemins sont différents et uniques d’un explorateur à l’autre.

Vous faites des comparaisons, mais quelle est la différence entre vous, les chercheurs de votre génération, et ceux qui entrent dans le labo aujourd’hui ?

On a toujours tendance à penser que tout allait mieux avant. Mais oui, il y a de grandes différences : je suis assez étonné de la facilité d’expression des jeunes chercheurs d’aujourd’hui, même si je me souviens d’avoir été beaucoup secoué lorsque j’ai dû présenter ma science à mes professeurs. Les jeunes auront alors beaucoup plus d’informations à gérer au quotidien. Nous n’avions pas de smartphone et notre temps d’écran était beaucoup plus limité. Aujourd’hui, ils sont beaucoup plus sollicités et doivent intégrer une quantité d’informations assez incroyable. Avec tous ces réseaux sociaux, peut-être que la nouvelle génération est exposée à trop de bien et pas tellement d’informations en très peu de temps (il faut pouvoir s’y retrouver), et tout est très long, il faut du temps, de la patience, concentration, implication, persévérance et persévérance. Nos générations sont difficiles à comparer.

Depuis que vous avez reçu le prix Nobel, vous dites que vous travaillez sur le concept de trouver de nouvelles façons de développer la science. Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’ai créé un framework, mais je prends le temps de voir comment je peux l’utiliser au mieux. L’idée est de « donner ». J’évalue ce qui se fait en ce moment et comment je pourrais soit aider des structures existantes (que j’ai déjà démarrées) soit démarrer quelque chose de nouveau en donnant du temps, de l’argent, des conseils en fonction de ce que j’ai vécu et de ce dont je me sens proche. cœur. Mais cette approche demande encore une certaine maturité.

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