« J’ai signé plus de certificats de décès au cours des deux dernières années que dans toute ma carrière de médecin »: Alors que les États-Unis franchissent la barre du million de décès de Covid-19, Joseph Varon, 59 ans, est officiel. « Il faut être fou pour être médecin au milieu d’une pandémie. »

Epuisement, peur constante de la foule… Le personnel médical américain continue aujourd’hui de payer l’épidémie, qui lui a enlevé toutes ses forces, tant physiques que mentales.

Deux ans après avoir interrogé deux médecins face à la mort comme jamais, l’AFP revient avec eux sur les cicatrices laissées par la crise sanitaire.

– « Le long cauchemar » –

En tant que chef de l’unité de soins intensifs d’un petit hôpital d’un quartier défavorisé de Houston, au Texas, M. Varon se souvient de son premier décès : un employé d’hôtel décédé en une semaine seulement. « C’est mon travail, mais j’ai été choqué qu’un homme de 34 ans en bonne santé soit mort comme ça sous nos yeux. »

Pour le médecin, la pandémie était « un long cauchemar continu avec des phases au milieu encore pires ».

Le Dr Joseph Varon réconforte un patient âgé de Covid-19 le 26 novembre 2020 au United Memorial Hospital de Houston, Texas (GETTY IMAGES NORTH AMERICA/AFP – Go Nakamura)

Il se souvient d’infirmières pleurant devant un flux continu de patients, de lits dans les couloirs, d’intubations en chaîne… « Aucun hôpital aux Etats-Unis n’était équipé pour faire face à une crise », juge un médecin venu du Mexique il y a 35 ans. retour, attirés par un système de santé plus performant.

« Un million de morts, comment est-ce possible ? Nous sommes aux USA, pas dans un pays du tiers-monde où il n’y a rien !

Au tout début, la maladie restait mystérieuse et menaçante, et la peur était grande de contaminer sa famille ou de tomber soi-même gravement malade.

Il se souvient comment sa femme l’a fait se déshabiller dans le garage en rentrant chez lui avant la douche obligatoire.

« La pensée que vous pourriez mourir à cause de ce que vous faites, en laissant vos enfants orphelins, est horrible », ont déclaré à l’AFP Daniel Brenner, un médecin urgentiste et sa femme. Au début de la pandémie, il se trouvait dans un grand hôpital de Baltimore, sur la côte est de l’Amérique.

Il croit qu’il a maintenant des symptômes post-traumatiques. « Je deviens très anxieux quand je suis dans une foule de gens sans masque », explique le trentenaire.

Avec un sanglot dans la voix, il dit qu’il fait de son mieux pour ne pas « blesser » ses trois jeunes enfants. « Mais c’est très dur. »

– Rythme effréné –

Dr Daniel Brenner le 1er avril 2020 à son domicile de Baltimore, États-Unis (Daniel Brenner/AFP - Daniel Brenner)Dr Daniel Brenner le 1er avril 2020 à son domicile de Baltimore, États-Unis (Daniel Brenner/AFP – Daniel Brenner)

En décembre 2020, une photographie de Joseph Varon défraye la chronique : le jour de Thanksgiving, on le voit serrer dans ses bras un patient âgé qui a contracté le coronavirus. L’homme voulait désespérément être avec sa femme, mais les rendez-vous étaient interdits.

« J’étais tellement triste », dit le médecin. A cette époque, « les gens mouraient seuls en soins intensifs, sans famille ».

Selon lui, cette image, ayant fait le tour du monde entier, « est devenue un symbole montrant que les médecins aussi ont des sentiments ». Il dit se souvenir de chacun de ses patients décédés.

Outre ces souvenirs, il est fortement influencé par le rythme effréné du travail. « J’ai vieilli très vite. Je me sens épuisé », dit-il, luttant pour ne pas prendre de vraies vacances tant que « la pandémie ne sera pas complètement terminée ».

Il ne compte plus le nombre de jours ouvrables consécutifs. Au mariage de sa fille, il a continué à rédiger des ordonnances par téléphone. « C’est quelque chose dont je me souviendrai toute ma vie. J’espère que ma famille ne s’en souvient pas. Mais même si j’étais physiquement là, je n’y étais pas.

Aujourd’hui la situation s’est améliorée. Bien que les États-Unis connaissent à nouveau une augmentation des cas de Covid-19, les professionnels de la santé ont appris à mieux gérer la maladie et un traitement est disponible.

Tout d’abord, les vaccins ont été un tournant.

« C’était incroyable parce qu’on ne se rend pas compte de la pression sur soi tant que le match n’est pas filmé », se souvient Daniel Brenner. Maintenant, il demande à tous ses patients s’ils sont vaccinés ou non, et si non, il essaie de les convaincre.

Car, malgré les progrès qui ont été réalisés, environ 330 personnes meurent encore chaque jour du Covid-19 aux États-Unis. Pour lui, ces décès provoquent « un mélange de tristesse et de déception car ils sont évitables ».