Le 5 avril 2022, une campagne nationale de rappel a été lancée pour les fromages de marque Graindorge (groupe Lactalis) en réponse à la découverte de Listeria lors d’un contrôle de routine dans un magasin de détail. Ce rappel a eu une audience nationale; il est également très fréquent que RappelConso signale des produits retirés de la vente en raison de la présence de ces souches bactériennes. En effet, elles sont en France la deuxième cause de décès par toxi-infection alimentaire : elles font donc l’objet d’une surveillance particulière. Que sait-on de cet agent pathogène humain ?

D’une bactérie naturelle à un problème de santé publique

Les Listeria monocytogenes sont des bactéries largement répandues dans la nature : elles ont été isolées du sol, de l’eau, des plantes et de certains animaux, notamment des insectes, des oiseaux, des mammifères sauvages ou domestiques. Dans le milieu naturel, ils sont souvent inoffensifs et se nourrissent de matières organiques en décomposition (bactéries saprophytes).

Ces bactéries, découvertes pour la première fois chez des lapins de laboratoire en 1924 n’ont été inclus dans la liste des sources probables d’infections humaines d’origine alimentaire qu’en 1979, lorsque 23 patients sont tombés malades dans un hôpital de Boston (États-Unis). C’est en 1981 lors d’une épidémie au Canada due à la consommation de choux contaminés que la preuve définitive de la transmission de l’infection par les aliments a été établie.

Depuis, il y a eu plusieurs autres épidémies de listériose, comme celle survenue en 1998-1999 aux États-Unis, où des hot-dogs contaminés ont tué 21 personnes. En France, l’infection la plus grave est survenue en 1992, avec 63 décès et 22 femmes ayant avorté après avoir mangé de la langue de porc en gelée. À ce jour, l’épidémie la plus grave signalée s’est produite en Afrique du Sud en 2018, lorsque plus de 1 060 patients ont été infectés et 204 personnes sont décédées, dont 42 % étaient des nouveau-nés.

Les chercheurs pensent que plusieurs facteurs simultanés ont contribué à ces épidémies, notamment l’industrialisation de la production alimentaire, l’omniprésence des équipements de réfrigération et une augmentation de la population à risque. Ainsi, la listériose est devenue le sujet d’observation; bien que rare, il est grave et fait depuis 1998 l’objet d’une déclaration obligatoire.

Listeria monocytogenes est capable de réagir rapidement aux conditions environnementales changeantes. Il peut, en colonisant les intestins, passer de bactérie saprophyte à pathogène humain. Nous avons pu montrer que dans ce cas, des régions de son génome (tous les gènes d’un être vivant) vont s’exprimer, tandis que d’autres vont se taire. L’apparition de la maladie dépend également de divers facteurs : le statut immunitaire et l’acidité de l’estomac (estomac) de la personne infectée, ainsi que la virulence des bactéries (la capacité à développer la maladie). Des concentrations élevées de bactéries contribuent également à l’émergence de la maladie. Dans la plupart des cas, le système immunitaire humain est capable de supprimer l’infection et de nombreuses personnes sont des porteurs asymptotiques de la bactérie. Cependant, il arrive que ces souches bactériennes traversent la barrière intestinale et se multiplient dans des organes tels que les reins, puis se diffusent dans la circulation sanguine et atteignent le placenta ou le cerveau, où elles détruisent les cellules.

Dans 99% des cas, l’infection se produit par l’utilisation d’aliments contaminés.

Parce que ces souches bactériennes sont répandues dans l’environnement, elles contaminent facilement la viande, les fruits de mer, la charcuterie, les produits laitiers et peuvent être présentes sur des légumes ou des fruits qui sont entrés en contact avec des matières fécales infectées.

Autre problème : ces bactéries sont capables de résister et de se développer à basse température, ainsi qu’en milieu salin (saumures) ou acide (produits fermentés). De ce fait, il est possible qu’ils contaminent toutes les étapes de la chaîne alimentaire en colonisant les sites de production d’aliments transformés et continuent d’évoluer lors de la préparation, de la distribution et du stockage des aliments. Évidemment, après contamination des aliments, les bactéries continuent de se multiplier dans un réfrigérateur familial pas assez froid (au-dessus de 4°C).

Ainsi, les produits alimentaires qui ont une longue durée de conservation et qui n’ont pas été traités thermiquement ou réchauffés sont les plus susceptibles d’être contaminés. En France, par exemple, les aliments épidémiques étaient les saucisses (langue de porc en gelée, riettes, mortadelle…), les fromages (brie, pont-levecq, époisses…) et les plats cuisinés. Mais ailleurs dans le monde, d’autres épidémies ont éclaté avec du poisson fumé, des légumes (melons, graines germées, salades prêtes à consommer), des glaces. Plus surprenant, des épidémies ont été signalées après avoir mangé des aliments surgelés (maïs et légumes).

Il existe une autre voie d’infection : la transmission d’une mère enceinte à un fœtus. après passage de la bactérie à travers le placenta ou de la mère au nouveau-né par passage au niveau des organes génitaux lors de l’accouchement. Dans de très rares cas, la listériose peut se transmettre par contact avec un animal infecté (cas observés chez des vétérinaires ou des éleveurs) ou à l’hôpital (transmission nosocomiale).

Affinage du fromage (Livarot) à la laiterie Graindorge (groupe Lactalis) © JIMMY BEUNARDEAU / HANS LUCAS / AFP

Quels sont les symptômes de la listériose ?

Alors que Listeria monocytogenes peut contaminer de nombreux aliments non stérilisés, les infections graves sont rares car l’ingestion de petites quantités de ces bactéries passe souvent inaperçue ; en grande quantité, ils provoquent parfois des gastro-entérites (nausées, vomissements, diarrhée, fièvre). Ces signes apparaissent entre 6 heures et 4 jours après l’infection.

Les formes sévères se développent chez les personnes fragilisées aux défenses immunitaires affaiblies (patients cancéreux, greffés, hémodialysés, personnes infectées par le VIH), chez les personnes souffrant d’insuffisance rénale ou hépatique, chez les personnes atteintes de maladies inflammatoires. Le groupe à risque comprend également les personnes âgées ou les personnes atteintes de maladies concomitantes (diabète, cirrhose du foie).
Dans tous ces cas, le début des symptômes est très variable, allant de 24 heures à 14 jours. La maladie se manifeste alors par une fièvre plus ou moins élevée, accompagnée de maux de tête et, parfois, de troubles digestifs (nausées, diarrhées, vomissements). Viennent ensuite des complications avec des infections de la circulation sanguine, du sang (bactériémie, septicémie) ou diverses infections du cerveau (méningite, abcès).

Dans le cas où l’infection touche une femme enceinte, la période d’incubation est très longue (de 17 à 67 jours), bien que chez la moitié des femmes les symptômes apparaissent vers le 28ème jour après l’infection. L’infection peut passer inaperçue ou entraîner des contractions ou des symptômes pseudo-grippaux (fièvre, frissons, maux de dos). Cependant, les risques et les conséquences peuvent être graves pour l’enfant à naître : avortement spontané, mort fœtale, naissance prématurée ou infection néonatale.

Quels sont les traitements ?

Le traitement de l’infection par la listériose repose sur les antibiotiques. Plus ils sont introduits tôt, plus grandes sont leurs chances de survie. Il n’existe pas de vaccin contre la listériose.

Quels sont les risques de contracter la listériose en France ? Quel est le taux de mortalité ?

En France, depuis dix ans, le nombre de cas est inférieur à 400 par an. Depuis 2015, moins de 10 % concernent des femmes enceintes. Cependant, l’étude (MONALISA) a montré que le pronostic vital dans cette maladie est encore mauvais, avec une mortalité à 3 mois dans 46% des cas de bactériémie et dans 30% des cas d’infection du système nerveux central. (cerveau).

Nombre de cas de listériose en France entre 2009 et 2019, classés par type d’infection et nombre de décès Fiche descriptive du risque biologique d’origine alimentaire : Listeria monocytogenes – Anses – Avril 2020.

Quelle prophylaxie peut-on mettre ?

La première prévention est l’application stricte des mesures d’hygiène et de contrôle à toutes les étapes de la chaîne alimentaire, de la production à la préparation des aliments, tant dans les locaux industriels qu’à domicile.

Pour les particuliers, le site de l’Institut Pasteur propose une série de conseils pour se protéger de l’infection et répertorie tous les aliments à éviter en cas de risque. En cas de doute, il est toujours préférable de ne pas consommer le produit, et il faut rappeler que ces bactéries sont sensibles à la chaleur : une cuisson à 60° pendant 30 minutes les détruit.

Alors que lors de l’épidémie de 1992 les pouvoirs publics refusaient d’indiquer la marque du produit à l’origine de l’infection, aujourd’hui la transparence est devenue indispensable : les autorités françaises ont créé Site Web de RappelConso une liste des lots de denrées contaminées, et dès l’apparition de contaminations groupées, des avertissements sont publiés dans la presse mentionnant le nom, la marque et l’origine des denrées contaminées. À partir de ce moment, des mesures de retrait immédiat sont généralement prises.

La Surveillance Nationale a été mise en place en 1982 avec la création du CNR (Centre National de Référence) ; cette mesure a été renforcée par un engagement de déclaration en 1998. En cas de contamination massive, le SPF mène une enquête en collaboration avec le CNR.

Cependant, les saisies répétées de produits contaminés auprès des entreprises alimentaires montrent qu’il existe encore des trous dans le réseau. Selon des ONG telles que Foodwatch, un meilleur contrôle de ces chaînes de production est nécessaire..