Deux ONG internationales ont demandé aux procureurs français et à l’ONU d’enquêter sur l’implication de l’État français en Égypte qui aurait commis des crimes contre l’humanité dans une opération militaire secrète à la frontière égypto-libyenne.

Une fuite de 2021 a semblé montrer comment des officiers français se sont plaints qu’on leur demandait de faciliter les frappes aériennes égyptiennes, baptisées Opération Sirli, à la frontière égypto-libyenne, même si l’objectif initial de lutte contre le terrorisme avait été renversé par l’armée égyptienne en retirant des véhicules contenant rien de plus que de la contrebande. On estime que des dizaines ont été tués ou blessés.

La plainte a été déposée auprès du parquet national antiterroriste français, au nom des ONG américaines Egyptians Abroad for Democracy et Codepink, lundi, a déclaré l’avocate britannique Haydee Dijkstal au Guardian.

Les ONG veulent que la justice française enquête sur la complicité des responsables français dans la commission de crimes contre des civils en fournissant une assistance aux autorités égyptiennes par le biais d’informations, de surveillance aérienne et de renseignement, puis ne mette pas fin à l’assistance une fois qu’il est devenu clair que l’Égypte n’utilisait pas les informations pour contrer – à des fins terroristes, mais plutôt pour bombarder des trafiquants présumés de drogue et de contrebande.

La plainte affirme que « les attaques ciblées qui ont entraîné des meurtres et des blessures systématiques de civils soupçonnés de trafic et sans rapport avec le terrorisme dans (le désert occidental égyptien) constituent des crimes contre l’humanité ».

Les ONG ont également renvoyé la question à trois rapporteurs spéciaux de l’ONU pour « prendre des mesures afin d’obtenir des informations supplémentaires sur les attaques ciblées, y compris par le biais d’une visite en Égypte ».

L’opération Sirli était une mission de renseignement désormais confirmée mais secrète lancée par la France en février 2016 pour sécuriser la frontière poreuse de 745 milles (1 200 km) entre l’Égypte et la Libye et prévenir toute éventuelle menace terroriste. L’accord initial, qui était important pour les efforts français visant à cimenter les relations avec son partenaire de sécurité égyptien, a été signé par le ministre français de la Défense de l’époque, Jean-Yves Le Drian, mais était connu des présidents français successifs.

Selon des documents confidentiels de la défense divulgués en 2021 par la direction du renseignement militaire (DRM) français, les forces égyptiennes ont modifié la mission initiale de sorte que des centaines de véhicules ont été la cible de frappes aériennes faisant d’innombrables morts et blessés. La divulgation initiale des documents a conduit à une enquête du gouvernement français, mais l’enquête interne s’est transformée en un examen de la source de la fuite, et non de ce que la fuite a révélé. Une tentative de députés de gauche à l’intérieur de l’Assemblée nationale de lancer une enquête par des politiciens a échoué.

Les documents montrent que des soldats français envoyés en Égypte entre 2016 et 2019 ont alerté leurs supérieurs à quatre reprises dans le renseignement militaire sur l’inquiétude suscitée par les frappes aériennes contre des civils accusés de trafic de drogue. L’un des e-mails divulgués indique que l’unité française « reste très vigilante mais néanmoins inquiète quant à l’utilisation qui est faite de [information] pour [targeting] fins ». Un autre e-mail indiquait que les véhicules étaient liés à « une simple contrebande bédouine ». Les frappes sur des centaines de véhicules ont été menées par des F-16 égyptiens.

Le ministère français de la Défense a défendu la mission Sirli et précisé qu’elle était « soumise à un cadre clair et à des mesures préventives strictes ».

Le Drian a reconnu la coopération sécuritaire avec les autorités égyptiennes, tout en affirmant que « le processus d’échange de données est construit de telle manière qu’il ne peut pas être utilisé pour guider des frappes ».

La plainte auprès du procureur français vise à obtenir une référence pour qu’un magistrat enquête sur l’affaire, mettant ainsi fin à ce que les ONG décrivent comme l’impunité de ceux qui n’ont pas encore été identifiés mais qui sont responsables au sein du gouvernement français de ce qui équivaut à un crime de torture.

La référence aux trois rapporteurs spéciaux de l’ONU opérant dans ce domaine affirme que l’Égypte a organisé des attaques contre des individus sans lien avec le terrorisme, violant ainsi leurs droits humains et nécessitant une enquête du Conseil des droits de l’homme de l’ONU.

Dijikstal a déclaré que les données de localisation recueillies par les Français ont fait que des centaines de personnes ont été tuées et blessées sans aucun recours à un procès, et plus récemment, leurs familles ont été privées de toute justice. « Au nom du terrorisme, des gens ordinaires tels que des producteurs de dattes ont été ciblés. »