BAttristé et meurtri, le « front républicain » français a une fois de plus fait son travail lors du second tour de l’élection présidentielle de dimanche. Face à la perspective d’une prise de pouvoir de l’Élysée par l’extrême droite, un nombre suffisant d’électeurs ont mis de côté leurs réserves à l’égard d’Emmanuel Macron et en ont fait le premier président à remporter un second mandat depuis 20 ans. En fin de compte, la victoire de M. Macron de 58% à 42% sur Marine Le Pen était beaucoup plus confortable qu’il ne semblait probable il y a quelques semaines, lorsque certains sondages prédisaient un combat au couteau.

Pour la France – et le reste de l’Europe – l’issue alternative aurait été désastreuse et déstabilisante. La vision autoritaire, nationaliste et xénophobe de Mme Le Pen aurait conduit à des troubles civils au niveau national et sapé la solidarité entre les démocraties occidentales à un moment crucial. Que M. Macron ait réussi à éviter ce scénario du pire est un motif de célébration. Mais comme l’a reconnu tacitement son discours de victoire dimanche soir, une élection remportée grâce au facteur peur a livré un mandat exceptionnellement fragile. Décrivant la France comme déchirée par le doute et la division, M. Macron s’est engagé à n’être « pas le candidat d’un camp, mais le président de nous tous ». De telles assurances sont monnaie courante de la part de dirigeants politiques victorieux, mais il est vital que M. Macron les respecte lors d’un second mandat, qui s’annonce pour le moins difficile.

Alors que l’élection est mise à nu, la France est dangereusement divisée selon des clivages économiques et générationnels. Une majorité de cols bleus – et plus de quatre électeurs sur 10 au total – ont opté pour Mme Le Pen. Ce score, le meilleur de l’histoire de l’extrême droite française, a permis à Mme Le Pen de déclarer sa part du vote une « victoire en soi ». De manière troublante, cela indique que la normalisation de son mouvement est presque complète. Le vote de base de M. Macron, en revanche, provenait de riches hommes d’affaires, de professionnels de la classe moyenne et de retraités. Les électeurs plus jeunes, bien éduqués mais économiquement précaires qui ont soutenu le candidat de la gauche radicale, Jean-Luc Mélenchon, au premier tour se sont retrouvés sans chien dans la lutte.

Reflétant une désillusion généralisée face au choix proposé, en particulier chez les jeunes, le taux d’abstention était le plus élevé pour un second tour présidentiel depuis 1969. Parmi les électeurs potentiels de moins de 25 ans, plus de 40 % n’ont pas voté. Suffisamment d’électeurs de gauche ont apporté leur soutien à M. Macron pour maintenir l’extrême droite hors du pouvoir, mais en moins grand nombre qu’en 2017. Les hostilités à droite et à gauche vont maintenant reprendre avant les élections législatives de juin.

S’il veut naviguer avec succès dans ce paysage politique instable, M. Macron devra adopter un livre de jeu radicalement différent de celui qui a caractérisé ses cinq premières années à l’Élysée. Pendant ce temps, il a acquis une réputation de « président des riches » après avoir édulcoré un impôt sur la fortune, poursuivi des réformes impopulaires des retraites et imposé une taxe sur le carburant qui a déclenché le gilets jaunes mouvement. Un style autocratique a contribué à l’impression largement répandue que l’intention déclarée de M. Macron de transformer et de libéraliser l’économie française se ferait au détriment des moins nantis.

Pour concrétiser ses aspirations à dépasser les clivages, M. Macron devra faire beaucoup plus pour répondre à ces préoccupations et insécurités. Au cours d’une campagne qui s’est rapprochée de manière inattendue, il y avait des signes que cela était reconnu. Dans une première déclaration d’intention encourageante, il a déjà été signalé qu’il y aura une consultation complète avec les syndicats et d’autres organismes sur les propositions visant à relever l’âge de la retraite de 62 à 65 ans. Alors que la crise du coût de la vie sévit, dans un pays encore fragile l’économie post-Covid, M. Macron devrait également reconnaître qu’il faut faire plus pour protéger et améliorer le niveau de vie des cols bleus et des jeunes précarisés, qui ont voté en masse pour M. Mélenchon. Alors qu’il envisage cinq années supplémentaires au pouvoir, M. Macron doit se rendre compte qu’il n’a pas tant reçu un mandat qu’une nouvelle chance.