Entre sécheresse et guerre en Ukraine, l'Irak craint pour son blé – Science et Avenir › Geeky News - 1

Les épis dorés du blé Kamel Hamed se balancent langoureusement au vent. Mais face à ce paysage pastoral du centre de l’Irak, l’agriculteur ne cache pas son angoisse : la sécheresse et le manque d’eau ont réduit de moitié sa récolte.

« Il y a une sécheresse incroyable en ce moment. Même dans les puits, l’eau ne peut pas être utilisée. C’est de l’eau salée », a déclaré M. Hamed, portant une vaisselle blanche avec un keffieh sur la tête.

Et depuis février, les conséquences de la guerre en Ukraine se font sentir jusque dans ses champs près du village de Dzhalikha : les prix du carburant, des engrais et des semences ont fortement augmenté. De quoi faire exploser leurs coûts de production.

Comme tous les agriculteurs en Irak, Kamel Hamed suit les instructions des autorités qui lui achètent des céréales. Ils déterminent la superficie cultivée et le niveau d’irrigation en fonction des apports en eau et des précipitations.

Un champ de blé dans le village de Jaliha, dans le centre de l’Irak, le 26 avril 2022. (AFP-Haidar INDHAR)

L’Irak a réduit de moitié sa superficie cultivée cette année en raison du manque d’eau. Mécaniquement, la récolte est tombée.

M. Hamed a planté un quart de ses 100 donums (10 hectares). Sur ses champs, la moissonneuse fait méthodiquement des rondes pour couper les épis mûrs. Le grain est projeté dans la benne du camion.

« Cette année, un donum ne nous a même pas donné 500 kg de blé », déplore l’agriculteur de 53 ans. Lors des saisons précédentes, c’était une tonne par donum.

La guerre en Ukraine a entraîné « une flambée des prix des huiles moteur et des graines à haut rendement ». « Encore une charge financière pour les agriculteurs », soupire-t-il.

« Je ne sais pas comment nourrir ma famille », ajoute M. Hamed. « Pas de salaire, pas de travail, où dois-je aller? ».

– « quitter la terre » –

Mais le facteur principal est l’eau. Un sujet hypersensible pour l’Irak et ses 41 millions d’habitants, qui subissent au quotidien les effets du changement climatique : désertification, tempêtes de sable à répétition, fortes pluies et baisse du niveau des fleuves.

La sécheresse a fissuré le sol dans la région agricole de Jaliha, dans le centre de l’Irak, le 26 avril 2022. (AFP-Haidar INDHAR)

C’est aussi un enjeu géostratégique clé. L’Irak partage les eaux de plusieurs fleuves, notamment le Tigre et l’Euphrate, avec la Turquie et la Syrie, ainsi qu’avec l’Iran. Bagdad s’oppose à la construction de barrages en amont de ses voisins, qui réduisent le débit des rivières à leur entrée en Irak.

La province de Diwaniya, irriguée par l’Euphrate, où se trouve Jalikha, reçoit généralement 180 mètres cubes d’eau par seconde. Cette année, le niveau oscille entre « 80 et 90 mètres cubes », déplore Hani Chaer, qui dirige le groupe d’agriculteurs en charge de la distribution d’eau.

En témoignent les eaux stagnantes du principal canal d’irrigation du Tarim, qui dessert 200 000 donums des terres environnantes. Certains fossés sont complètement secs.

Il dénonce également le manque de soutien des autorités. Le ministère de l’Agriculture n’a fourni que 5 kg d’engrais cette saison, contre 40 kg les années précédentes, a-t-il déclaré.

« Le paysan partira, quittera la terre pour aller à la ville, trouver n’importe quel travail », regrette-t-il.

– « Zéro agriculture » –

De l'eau stagnante dans le principal canal d'irrigation de Tarim, en Irak, le 26 avril 2022 (AFP - Haidar INDHAR)Stagnation de l’eau dans le principal canal d’irrigation de Tarim, Irak, 26 avril 2022 (AFP – Haidar INDHAR)

Le porte-parole du ministère de l’Agriculture, Hamid al-Nayef, se défend en citant une décision d’augmenter le prix d’achat pour payer aux producteurs environ 500 dollars la tonne.

En 2019 et 2020, la récolte de blé a atteint cinq millions de tonnes, de quoi garantir « l’autosuffisance » de l’Irak, a-t-il déclaré à l’AFP.

Cette saison, le pays devrait disposer de 2,5 à 3 millions de tonnes de blé. « Trois millions de tonnes ne suffisent pas aux Irakiens pour une année entière », admet le porte-parole. « Nous devrons importer. »

L’Irak devra faire face aux aléas du marché mondial et à la hausse des prix due au conflit en Ukraine, même si Bagdad importe principalement des céréales du Canada, d’Australie et des Etats-Unis.

« Avec le jeu de l’offre et de la demande, les prix augmentent même aux Etats-Unis ou dans d’autres pays », admet M. Nayef.

Dans son champ de Jalih, Ahmed Al-Jelhawi s’interroge sur ses choix de vie.

« J’ai abandonné l’école pour me consacrer à l’agriculture », déplore le trentenaire. « Mais cette année, l’agriculture est à zéro. »

Une fois, il a récolté 500 tonnes de blé. Selon lui, cette année ce sera de 50 à 75 tonnes. « En raison de la faible production et de la hausse des prix, il est probable que nous ne pourrons pas semer l’année prochaine. »