Xavier Giannoli apporte sa force et son flair naturels à ce spectacle de progrès spectaculaire, un drame costumé français de premier ordre adapté du roman d’Honoré de Balzac de 1837 sur la jeunesse poétique qui vient dans la grande ville avec un idéalisme provincial et une sensibilité inexpérimentée, seulement pour les remplacer avec ambition, convoitise, corruption et (pire de tout) journalisme. Une génération précédente aurait peut-être haussé les épaules à cela, car cinéma du papa, et le public moderne pourrait sourire narquois devant le genre de film décoratif qui figure malicieusement dans le générique d’ouverture de la comédie télévisée française de Netflix Call My Agent! Mais c’est joué avec un tel panache qu’il est impossible de ne pas en profiter.

Notre héros est Lucien Chardon, interprété avec justesse par Benjamin Voisin (l’un des amants du récent drame Été 85 de François Ozon). Lucien est un humble assistant d’imprimerie et poète de petite ville, qui se fait appeler « du Rubempré » d’après sa mère bien connectée ; son beau visage et ses vers ardents capturent le cœur de l’aristocrate locale, Louise de Bargeton (Cécile de France), avec qui Benjamin aura bientôt une liaison. Une confrontation féroce avec le mari cocu et bafouillant de Louise signifie que Lucien décide de faire une rupture nette et de se diriger vers Paris où, avec l’aide de Louise, il est certain que son talent poétique fera de lui le toast de la ville. Mais ses manières maladroites et ses vêtements neufs absurdement mal jugés embarrassent Louise devant ses grands amis, dont la rusée marquise d’Espard (Jeanne Balibar) et un auteur à la mode qui deviendra l’ennemi mortel de Lucien : Nathan d’Anastazio, incarné par ce notable réalisateur et acteur de talent Xavier Dolan.

Lucien est réduit à la quasi-pauvreté, et pour gagner un sur, commence à écrire des articles pour la presse libérale calomnieuse ; il est sous la direction éditoriale du hack moqueur Lousteau (Vincent Lacoste) et du propriétaire saturnien Finot (Louis-Do de Lencquesaing), qui vendent ouvertement des articles et des critiques bonnes et mauvaises contre de l’argent. Lucien devient bientôt une grande célébrité dans ce nouveau métier désagréable, incite l’éditeur cynique et trouble Dauriat (Gérard Depardieu) à prendre ses poèmes et tombe amoureux de l’acteur Coralie (Salomé Dewaels), achetant de bonnes critiques et acclamant les foules pour son amant. Ça ne peut pas bien finir. Il ne le fait pas non plus.

La vanité métropolitaine et le mépris génial pour tout ce qui n’est pas à vendre confèrent à l’histoire une lourde saveur de cognac de cynisme désinvolte, mais l’élan galopant du film est exaltant, et il y a une large comédie dans son élision de désir charnel et d’ambition sociale. Giannoli, comme Balzac, nous invite à voir que la perte des illusions n’est ni tout à fait délibérée ni tout à fait accidentelle. Et c’est double : d’abord Lucien abandonne ses idéaux poétiques fleuris au profit de l’argent et du statut ; puis, douloureusement, jette l’illusion que cette vente allait vraiment lui faire du bien. Il admire une phrase du nouveau roman de son rival Nathan : « Maintenant, j’arrête d’espérer et je commence à vivre », qui sera l’épitaphe de cette histoire. Et quand arrive ce moment ? Quand espérer devient vivre ? Peut-être jamais – ou peut-être au tout début de notre vie.

Lost Illusions ouvre au Cine Lumiere de Londres le 16 mai.