UNà travers l’Europe, les partis de droite radicale continuent de monter. En France, Marine Le Pen est de nouveau en lice pour la présidence française face à Emmanuel Macron. Cette fois, les sondages suggèrent une course beaucoup plus serrée que lors des élections de 2017. Il y a un peu plus d’une semaine, le parti nationaliste populiste Fidesz de Viktor Orbán a remporté une victoire écrasante aux élections législatives hongroises.

Les partis d’extrême droite ont non seulement des chances réalistes d’entrer et de diriger des gouvernements dans de nombreux pays, mais leur succès continue de se répandre sur tout le continent. Même l’Espagne et le Portugal, longtemps considérés comme exceptionnels en raison de l’absence de forces d’extrême droite, ont récemment vu l’émergence, respectivement, de Vox et de Chega.

Ces tendances ont suscité des débats sur la manière d’arrêter ou même d’inverser le soutien public croissant à la droite radicale. Les stratèges et les commentateurs des partis ont fait valoir que les partis traditionnels de gauche et de droite devraient s’engager dans des stratégies dites accommodantes – en d’autres termes, adopter des politiques plus strictes en matière d’immigration et d’intégration. Si les partis traditionnels avaient été moins progressistes en matière de migration, selon l’argument, la droite radicale n’aurait jamais pu prendre pied politiquement. Se tourner, même tardivement, vers des politiques d’immigration plus radicales devrait ramener les électeurs au centre du débat.

En effet, les grands partis d’Europe occidentale ont, au cours des dernières décennies, viré de plus en plus à droite sur l’immigration et l’intégration en réponse aux succès de la droite radicale. Beaucoup considèrent les élections générales danoises de 2019 comme un excellent exemple de la promesse de cette stratégie. Les sociaux-démocrates ont coopté l’agenda anti-immigration et le parti d’extrême droite du peuple danois a subi une sévère défaite électorale.

Cependant, il existe plusieurs raisons pour lesquelles le simple fait d’adopter des politiques plus dures ne convaincra pas les électeurs de revenir aux partis traditionnels. Cela peut, comme le préviennent certains experts, légitimer les opinions des partis d’extrême droite et leur programme politique. Pour emprunter à Jean-Marie Le Pen, pourquoi les électeurs choisiraient-ils la copie alors qu’ils peuvent avoir l’original ?

Il existe des exemples qui suggèrent que combattre l’extrême droite en adoptant ses politiques n’est pas aussi prometteur que beaucoup le pensent. En Allemagne en 2018, la CSU de droite bavaroise a fait écho à de nombreuses politiques d’immigration radicales promues par l’AfD d’extrême droite. Lors des élections d’État qui ont suivi, la CSU a subi des pertes de voix massives tandis que l’AfD a bondi et obtenu 10,2% des voix. En Espagne, l’adoption de plus de politiques anti-immigration par les partis de droite Partido Popular et Ciudadanos n’a pas arrêté l’ascension de Vox. Et en France, malgré le discours des partis de centre-droit préoccupé depuis des décennies par les questions d’identité nationale et de migration, Marine Le Pen est désormais la force électorale la plus importante à droite.

Nous avons étudié cette question dans 12 pays d’Europe occidentale, en nous appuyant sur des données remontant aux années 1970. En combinant un large éventail de données d’enquête, nous avons analysé l’effet que les politiques d’immigration plus strictes des partis traditionnels avaient sur le soutien électoral de la droite radicale. Nous avons également demandé si le contexte électoral avait une incidence sur les habitudes de vote d’extrême droite. Nous avons examiné, par exemple, si le soutien aux partis d’extrême droite était affecté par l’existence d’un cordon sanitaireou à quel point la question de l’immigration a été à l’ordre du jour du parti.

Sur la base de cette analyse large et comparative, nous n’avons trouvé aucun soutien à l’idée que les parts de vote de la droite radicale diminuent si les partis traditionnels de gauche ou de droite promeuvent des positions politiques plus strictes en matière d’immigration et d’intégration. Au contraire, les données montrent qu’encore plus d’électeurs ont tendance à faire défection vers la droite radicale une fois que cette dernière est un acteur consolidé dans l’arène électorale. Dans l’ensemble, nos résultats suggèrent que combattre les partis d’extrême droite en adoptant leurs politiques migratoires est au mieux infructueux et au pire contre-productif. En légitimant un cadre associé à la droite radicale, les politiciens traditionnels peuvent finir par contribuer à son succès.

Cela laisse sans aucun doute les partis traditionnels dans une position précaire alors qu’ils luttent pour stopper la montée de la droite radicale. En fait, le succès de la droite radicale semble remarquablement immunisé contre le comportement des partis dominants. Le manque de stratégies alternatives viables peut expliquer pourquoi les partis traditionnels continuent de jouer les imitateurs. Les dangers seront à nouveau sur la table en France le 24 avril. Après un premier tour de campagne dominé par les arguments du challenger d’extrême droite Éric Zemmour (qui est à la droite du Rassemblement national de Le Pen)Macron devra désormais se battre pour un retour au pouvoir sur le terrain de la droite radicale.

  • Werner Krause est chercheur postdoctoral à l’Université de Vienne ; Denis Cohen est chercheur postdoctoral au Mannheim Centre for European Social Research ; Tarik Abou-Chadi est professeur associé de politique européenne au Nuffield College, Université d’Oxford