Cet article est extrait de la revue mensuelle Sciences et Avenir – La Recherche n°903 de mai 2022.
Avec le conflit en Ukraine, la question s’est posée avec acuité : peut-on se passer du gaz russe (qui représente 17 % des importations françaises) ? Dans le contexte des élections présidentielles, toute la question de l’indépendance énergétique nationale se pose. Et, peu de gens le savent, mais celui-ci est tout à fait possible au gaz. Parce qu’en France on n’a pas de pétrole, mais on a… des déchets qu’on peut recycler pour alimenter le réseau en biométhane.
1000 projets en cours
Thierry Oublier, directeur général de GRTgaz, qui gère le réseau national de distribution, n’hésite pas à parler de « troisième révolution gazière » : « Au XIXe siècle, le gaz urbain était produit dans des centrales à charbon au cœur des agglomérations françaises. « Au XXe siècle, il est devenu moins cher d’importer du gaz naturel de Norvège, d’Algérie ou de Russie. Avec le biométhane, on revient à une production locale, totalement indépendante des aléas géopolitiques.
Et ce gaz français est déjà une réalité. Les digesteurs qui décomposent la matière organique par des bactéries pullulent dans les zones rurales (voir infographie ci-dessous). En 2021, 6,4 térawattheures (TWh) de gaz ont été pompés dans des conduites sur 365 sites et mélangés au flux de gaz fossile. C’est un peu plus de 1 % des 474 TWh consommés l’an dernier en France. Mais en 2015, la production était nulle et plus de 1 000 projets sont à l’étude, donc 19 TWh seront ajoutés dans les deux à trois prochaines années. « En 2030, il faut atteindre 20% de la consommation nationale et atteindre l’indépendance en 2050 », précise Thierry Oublier.
Optimisme raisonnable alors que la barrière des prix est levée. Alors qu’en 2010 le prix du m3 de gaz naturel était inférieur à dix euros par mégawattheure (MWh), le prix du biogaz culminait à 95 euros. La reprise de l’économie après le coronavirus et surtout la guerre en Ukraine a changé la donne. Ce printemps 2022, le gaz naturel coûte plus de 100 euros. Enfin, cet objectif est d’autant plus atteignable que la consommation de gaz naturel devrait chuter fortement à 320 TWh en 2050.
Pourquoi la demande de gaz va diminuer
Si la consommation de gaz passe de 470 à 320 térawattheures (TWh) en trente ans, cela tient en partie à l’électrification des besoins. En réponse à la lutte contre le changement climatique, le chauffage au gaz, qui est installé dans un tiers des maisons individuelles et la moitié des immeubles collectifs et des bureaux, va progressivement céder la place aux pompes à chaleur, et l’industrie sera contrainte de se décarboner. Si la consommation totale d’énergie en France passe de 1600 TWh aujourd’hui à 965 TWh grâce aux progrès technologiques et aux politiques d’économie d’énergie, la consommation d’électricité passera de 430 à 645 TWh en 2050, couvrant ainsi 55% de la demande contre 25% aujourd’hui. Quant aux énergies fossiles, qui assurent actuellement 60 % de la consommation, elles disparaîtront pratiquement d’ici le milieu du siècle.
Les gisements utilisables pour la production de biométhane sont importants du fait des déjections animales, des résidus de culture, de certaines cultures énergétiques, ou de cultures plantées entre deux cultures. 230 parcelles appartiennent à des agriculteurs individuels et 79 à des groupements d’agriculteurs. S’y ajoutent les boues et sous-produits des usines de transformation et des animaux de l’industrie agro-alimentaire, les sous-produits des abattoirs, les ordures ménagères, les déchets verts, les boues des stations d’épuration municipales. « Si nous utilisons tout ce potentiel à bon escient et ne faisons pas concurrence aux capacités, nous pouvons atteindre 130 TWh en 2050 », a calculé Thierry Trouvout. Ambitieux, mais pas assez. « Nous avons la chance que les technologies en développement démontrent leur pertinence », déclare Anthony Mazzenga, directeur des gaz renouvelables et de l’hydrogène chez GRTgaz.
Leurs noms sont : pyrogazéification, gazéification hydrothermale, méthanation. Quoi exactement? Avec la pyrogazéification, nous quittons le domaine de la biologie pour passer au domaine de la combustion. Elle consiste à brûler des déchets solides dans une atmosphère appauvrie en oxygène. Cela conduit à la formation d’un mélange de gaz, dont la plupart est du méthane. Matière première? « Ce sont les restes des industries de l’exploitation forestière et du travail du bois, ainsi que des produits de consommation en fin de vie comme les meubles, les tissus, les chiffons, les mousses, les mélanges de matériaux », énumère Anthony Mazzenga. Ces déchets, collectivement appelés «combustibles solides de récupération» (SRC), sont actuellement pour la plupart mis en décharge ou incinérés. Et seulement 300 000 tonnes de CSR et MSW sont actuellement exploitées, alors que le gisement est estimé à 2,5 millions de tonnes par an.
Ainsi, les acteurs sont très différents des acteurs de la méthanisation. En cours de constitution, la filière regroupe les collectivités locales en charge de la collecte des déchets municipaux, les éco-organismes qui gèrent les cotisations pour financer le tri sélectif, et les grands opérateurs de valorisation matière (Veolia, Suez). Depuis 2018, en France, un pilote industriel Gaya, piloté par Engie, teste à Saint-Fonds (Rhône) un four qui transforme des bois issus de la filière emballage, ainsi que des noyaux d’olives, des coques d’amandiers, des écorces, de la paille non comestible. . , avec l’idée de vendre des unités clés en main à des joueurs aguerris. En mars, Ecomobilier, l’organisme chargé de financer la collecte et le recyclage du mobilier, et le Syctom, l’association de recyclage des déchets municipaux de Paris et des départements de la petite couronne, ont signé un protocole d’accord avec GRTgaz pour recycler les combustibles solides de récupération par pyrogazéification. , les déchets de papier des centres de tri de la ville et les déchets de bois traité, verni ou peint. « Actuellement en France, une quinzaine de pilotes industriels se préparent à la phase de développement, commente Anthony Mazzenga.
D’ici 2050, le biogaz pourra remplacer tout le gaz naturel. Le développement de la méthanisation, associé à trois autres technologies innovantes, doit permettre à la France de se passer du gaz naturel, notamment en provenance de Russie.
Solution de digestat de méthanisation
Pour la gazéification hydrothermale, le domaine est constitué de déchets humides tels que les effluents organiques des industries agro-alimentaires ou papetières, les boues de stations d’épuration, et d’une manière générale tous les digestats de méthanisation non distribuables sur les terres agricoles. Le procédé, qui consiste en une combustion à 250 bar et 400°C par pyrolyse ou 700°C en atmosphère appauvrie en oxygène, est bien rodé, mais le passage à l’expérience industrielle ne fait que commencer. Le plus grand démonstrateur au monde est situé à Alkmaar (Pays-Bas) avec une capacité de 16 tonnes par heure.
Enfin, les compagnies gazières placent de grands espoirs dans la méthanisation. Cette fois sans perte. L’idée est d’utiliser de l’hydrogène, qui peut soit être injecté directement dans le réseau, soit être utilisé pour produire du méthane en réagissant avec le CO2 capté dans la cheminée d’une usine voisine. Une réaction nécessitant une grande quantité d’électricité, dont l’origine doit être renouvelable. « C’est une façon d’utiliser l’énergie générée en trop les jours de vent fort ou de fort ensoleillement », note Anthony Mazzenga. Cette électricité alimente depuis 2020 les électrolyseurs de Fos-sur-Mer dans le cadre du projet Jupiter 1000.
Avec un tel ensemble de solutions, les compagnies gazières ne doutent pas que l’indépendance soit tout à fait réalisable. Avec une forte volonté politique, cela pourrait arriver même bien avant 2050. D’autant plus que le mandat du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) dans son rapport du 4 avril est de réduire les émissions de gaz à effet de serre cette décennie. « Nous sommes à la croisée des chemins. En prenant les bonnes décisions aujourd’hui, nous pouvons assurer un avenir décent. Nous avons les outils et le savoir-faire pour limiter le réchauffement climatique », a déclaré Hoson Lee, président du GIEC. Et parmi ces outils, l’accélération de la « troisième révolution gazière » vient au premier plan.
Calmer les opposants à la digestion anaérobie
Les opposants à la filière méthanisation évoquent les risques d’accidents voire d’explosions, la circulation des camions, la pollution des eaux par l’épandage des digestats. L’accident de Châteaulin (Finistère) en août 2020, où 400 m3 de digestat ont pollué la rivière Olne, a mis en lumière les risques de cette activité. Depuis 2016, les services de l’État ont enregistré 70 incidents, tous moins graves, et leur nombre tend à diminuer à mesure que les opérations augmentent, selon le Syndicat pour les énergies renouvelables (SER). Elle dépend aussi de l’application de la marque de qualité et du contrat de progrès destiné aux opérateurs.