Fepuis près d’un an et demi, la politique italienne s’est caractérisée par un degré très inhabituel de stabilité et de consensus. Pendant le mandat de Mario Draghi, le pays a traversé le pire de la pandémie de Covid et a réussi à réclamer une importante tranche de fonds de relance de l’UE. Une grande partie du mérite en revient à juste titre à l’ancien chef de la Banque centrale européenne, qui a été parachuté dans le rôle de Premier ministre pour mettre de l’ordre dans le chaos, à la suite de l’effondrement ignominieux du gouvernement précédent.

Cette période d’accalmie, très appréciée des électeurs, devait toujours être limitée dans le temps. M. Draghi a présidé avec compétence un gouvernement d’union nationale à large assise créé pour faire face à une situation d’urgence ; mais bien qu’il ne soit pas le premier économiste non élu à diriger le pays, l’Italie est une démocratie et non une technocratie. La politique normale devait reprendre via les élections du printemps prochain. Mais ce calendrier risque maintenant d’être accéléré inutilement, suite à la décision du Mouvement cinq étoiles de boycotter un vote de confiance la semaine dernière. M. Draghi a rapidement démissionné, pour en être immédiatement dissuadé par le président Sergio Mattarella. Mais en fonction de l’issue de négociations tendues, il pourrait décider de partir cette semaine.

Dans un contexte de crise économique et géopolitique susceptible de culminer cet hiver, le départ anticipé de M. Draghi serait une mauvaise nouvelle pour l’Italie et pour l’Europe. Les retombées de la guerre illégale de la Russie en Ukraine ont, en effet, généré une deuxième urgence à la suite de la pandémie. Elle soulève de multiples défis pour un pays qui reste dangereusement vulnérable aux chocs extérieurs. Lundi, M. Draghi était à Alger à la recherche urgente de sources d’énergie alternatives au gaz russe, dont l’approvisionnement est militarisé par Vladimir Poutine. L’Italie doit également refinancer 200 milliards d’euros de dette plus tard cette année, et les coûts d’emprunt du pays ont fortement augmenté avec le retour de l’instabilité politique à Rome. Cette semaine, la Banque centrale européenne devrait augmenter ses taux d’intérêt pour la première fois en dix ans, augmentant ainsi la pression.

Dans des circonstances aussi perfides, M. Draghi représente une paire de mains sûres, et sa grande réputation à Bruxelles et sur les marchés obligataires constitue un atout important pour l’Italie. Alors que la Grande-Bretagne subit encore plus de troubles politiques et qu’Emmanuel Macron peine à imposer sa volonté politique en France, l’influence constante de M. Draghi sur la scène européenne est également nécessaire dans une période où l’unité sur l’Ukraine sera mise à rude épreuve.

Il est possible qu’un autre chef soit nommé pour le remplacer, s’il choisit de partir. Mais un résultat plausible d’élections d’automne serait un gouvernement d’extrême droite, peut-être dirigé par le chef du parti post-fasciste des Frères d’Italie, Giorgia Meloni. Le parti de Mme Meloni, qui est resté en dehors de la coalition d’unité nationale, est actuellement en tête des sondages et susciterait des combats nationalistes avec Bruxelles sur des questions allant de la réforme économique à l’immigration et au mariage homosexuel. Il est difficile d’imaginer une tournure des événements plus déstabilisante en cette période de crise continentale.

Le week-end dernier, plus de 100 maires se sont joints aux chefs d’entreprise et aux dirigeants syndicaux pour appeler M. Draghi à reconsidérer sa décision de démissionner. Il faut les écouter. L’Italie doit finalement résoudre ses différends politiques par les urnes. Mais l’élection devrait avoir lieu au printemps prochain, et M. Draghi devrait rester en poste pour l’instant.