Euphorie, Sex Education, Les petits roiss, Jeunes Royaux Les séries fictives autour des adolescents LGBTQ+ abondent depuis un certain temps. La plus récente, Arrêt cardiaquea un retentissement qui suggère qu’il s’agit d’un courant incarné, et non d’une mode passagère.

Posté à 7h00

Marc-Andre Lemieux

Marc-Andre Lemieux
La presse

Relayé par Netflix depuis quelques semaines, ce drame romantique britannique raconte l’histoire de Charlie (Joe Locke), un jeune intellectuel rêveur – ouvertement homosexuel – qui tombe amoureux du joueur vedette de l’équipe de rugby de l’école, Nick (Kit Connor).

Les amis de Charlie peuvent appeler son béguin roux un golden retriever, mais son béguin refuse de mourir. Et contre toute attente, après avoir noué une belle amitié après de longues conversations, des messages privés sur Instagram, des jeux de Mario Kart et entraînements sportifs, le sentiment s’avère réciproque. Arrêt cardiaque s’inspire d’un roman graphique d’Alice Oseman, d’où ces petites notes d’animation ajoutées en post-production ou encore ces plans de caméra qui évoquent des vignettes de dessins animés.

Composée de huit épisodes d’une demi-heure, la série applique les codes propres aux comédies romantiques, mais avec plus de finesse qu’un banal film pour adolescents.

C’est brillant et rempli de bons sentiments, mais jamais ringard. À noter, l’actrice oscarisée Olivia Coleman (La Couronne, Broachurch) joue la mère de Charlie.

Depuis trois semaines, Arrêt cardiaque domine le classement variété Les séries « tendance » sur Twitter, loin devant Chevalier de la lune, un blockbuster Disney+. Il maintient actuellement une note parfaite de 100% sur Rotten Tomatoes, qui suit les critiques. De HollywoodReporter à Gardien En passant par Le magazine Time et Télérama, la presse internationale adore ça. ROYAUME-UNI, L’indépendant parle d’une victoire pour le public LGBTQ+.


PHOTO FOURNIE PAR NETFLIX

Scène de la série Arrêt cardiaque

Professeure à l’École supérieure de théâtre de l’UQAM, qui donne ce printemps le premier cours sur les approches queer de l’art, Dinaïg Stall partage cet avis.

« Ce que j’aime dans cette série, c’est qu’on ne nie pas l’homophobie, confie-t-elle en entrevue. Elle est là. Mais ce n’est pas l’horizon des personnages. Nous n’avons pas fait de porno traumatologique. Nous ne soulignons pas toujours à quel point c’est terrible. Il ne s’agit pas seulement de relations destructrices. Les caractères ne sont pas monochromes, tout roses ou tout noirs. La réalité est toujours beaucoup plus complexe. »

Une liste qui s’allonge

Arrêt cardiaque vient grossir une liste grandissante de fictions mettant en scène des jeunes du secondaire qui s’écartent du modèle hétéronormatif qui domine outrageusement ce type de production.

Dans cette liste apparaît la série HBO Euphoriequi dresse le portrait d’un jeune toxicomane nommé Rue (Zendaya), qui noue une relation amoureuse avec Jules (Hunter Schafer), un adolescent trans.


PHOTO EDDY CHEN, FOURNIE PAR HBO

Scène de la série Euphorie

Sur Netflix, citons la série suédoise Jeunes Royaux (Jeunesse Royale en version française), qui met en scène l’idylle compliquée d’un jeune prince et d’un élève bourgeois dans un pensionnat, et Sex Education (Éducation sexuelle), qui s’intéresse aux romances diversifiées de lycéens supposés. On peut même citer Élite, un thriller espagnol qui se concentre sur les tribulations d’un gang d’adolescents incroyablement libidineux. Dans un style beaucoup plus chaste, Amour, Victor (Avec amour, Victor) examine le quotidien d’un jeune garçon latino en quête d’identité sur Disney+.


PHOTO SAM TAYLOR, FOURNIE PAR NETFLIX

Scène de la série Sex Education

Au Québec, la série Les petits rois (actuellement présenté sur ICI Télé, à voir en rattrapage sur ICI Tou.TV) s’inscrit dans ce mouvement en décrivant la chute d’un groupe d’étudiants décomplexés et privilégiés mené par Julep (Pier-Gabriel Lajoie), joueur de hockey , et Adaboy (Alex Godbout), patineur artistique passionné de mode. Grosse surprise : le premier est gay, le second est hétéro.

Dans une interview, le créateur de petits roisJeffrey Wraight, dit qu’après avoir travaillé sur Code F. (2014-2018) et Code G. (2016-2019) à VRAK, il savait que le public adolescent/jeune adulte « était prêt » pour quelque chose d’un peu plus osé et atypique.

« J’étais fasciné de voir l’ouverture des jeunes générations, souligne le producteur chez Zone 3. Je voulais une série qui mettrait en avant des personnages LGBTQ+, mais sans que leur sexualité n’affecte le scénario. Parce que ce n’est pas parce qu’une personne est LGBTQ+ qu’elle est forcément gentille. On peut aussi être des méchants ! »


PHOTO PAR ÉVA-MAUDE TARDIF CHAMPOUX, FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Scène de la série Les petits rois

A l’affût des tendances télé, Jeffrey Wright a regardé Arrêt cardiaquebien qu’il sache qu’il n’est pas exactement le public cible.

« En tant qu’homosexuel de 50 ans, je sais que ce n’est pas pour moi, mais putain ça m’a fait du bien ! Parce que mon expérience au lycée n’était pas ça du tout. J’ai trouvé cela très touchant. Cela montre que nous progressons malgré tout ce qui se passe aux États-Unis. »

« un baume »

Selon le sexologue et sociologue Martin Blais, la multiplication de séries comme Arrêt cardiaque permet enfin aux jeunes LGBTQ+ de voir qu’ils ne sont pas seuls, que d’autres personnes comme eux existent et partagent leurs expériences, leurs combats, leurs embûches ou leurs inquiétudes.

« Le succès rencontré par ces séries suggère qu’elles sont justes dans les préoccupations qu’elles véhiculent et dans la façon dont elles le font », note la professeure au département de sexologie de l’UQAM. Se reconnaître, prendre conscience que l’on n’est ni seul ni seul et que ses envies ou préoccupations sont partagées, ne serait-ce que par des personnages fictifs, peut jouer un rôle de validation important qui fait souvent défaut lorsqu’on grandit dans un contexte où il y a peu ou pas de LGBTQ+ des modèles. Sortir de l’invisibilité […] est déjà un pas dans la bonne direction. »

« C’est un baume de voir que ces séries existent, ajoute Dinaïg Stall. J’aurais probablement perdu moins de temps si j’avais eu accès à ce type de représentation quand j’étais plus jeune. Cela crée des possibilités pour les personnes qui remettent en question leur sexualité. C’est merveilleux ! Quand j’ai fini Arrêt cardiaque, j’ai pleuré ma vie ! »