Les difficultés se sont accumulées en très peu de temps : fuite du personnel, Covid, triple épidémie fin 2022. Endommagé mais pas coulé, le service des urgences de Mulhouse s’est nettement renforcé en trois années difficiles.

Les plaisanteries s’enchaînent dans une pièce qui sert de bureau collectif aux médecins. 8 h 30, passage de l’équipe de nuit à l’équipe de jour après un quart de travail « suffisamment occupé ». Cela n’empêche pas les tuteurs de se taquiner sur les prochains rendez-vous entre collègues ou les cernes sous les yeux que certains visages creusent.

« Bonne ambiance, ça garde tout le monde. Le même gardien avec des gens qui font des grimaces ou se tirent une balle dans le pied, ce n’est pas pareil », souligne le Dr Thomas Stadler, 29 ans, qui termine son service.

Entrée aux urgences de l’hôpital de Mulhouse, le 16 janvier 2023 (AFP – SEBASTIEN BOZON)

Ce médecin fraîchement diplômé fait partie des vingt médecins embauchés depuis 2019. A l’époque, après plusieurs licenciements, le service ne compte que sept salariés et s’appuie sur des intérimaires. Des épisodes de grèves ont secoué le service des urgences, et les 17 internes se sont déclarés en arrêt maladie pour épuisement professionnel.

Redonner de la stabilité à ce service, qui reçoit 60 000 patients par an, avait besoin d’attirer et de fidéliser du personnel. Pas facile pour une institution située en dehors d’une grande métropole et proche de la Suisse et de ses merveilleux salaires.

« Nous avons actionné deux leviers, explique Marc Noisette, chef de service engagé pour faire face à la crise. « Nous avons accompagné des médecins qui souhaitaient se former à la médecine d’urgence. Et nous avons accueilli des jeunes en dernière année à la fin de leur thèse. Association Samu-Urgences de France (SUdF).

– « Trois Français » –

Bilan de la nuit aux urgences de l'hôpital de Mulhouse, le 16 janvier 2023 (AFP - SEBASTIEN BOZON)Bilan de la nuit aux urgences de l’hôpital de Mulhouse, le 16 janvier 2023 (AFP – SEBASTIEN BOZON)

En moins de quatre ans, le service des urgences s’est agrandi pour compter 28 médecins. Un vrai succès pour cet hôpital, le premier de France à affronter massivement la pandémie de Covid-19 au printemps 2020.

Plus récemment, comme dans d’autres établissements en France, ses urgences ont été englouties fin décembre par une triple épidémie de Covid-19, grippe et bronchiolite.

Le docteur Marc Noizet, chef du service des urgences de l'hôpital de Mulhouse, examine une patiente peu après son admission, le 16 janvier 2023. (AFP - SEBASTIEN BOZON)Le docteur Marc Noizet, chef du service des urgences de l’hôpital de Mulhouse, examine une patiente peu après son admission, le 16 janvier 2023. (AFP – SEBASTIEN BOZON)

Le service a également mis en place une nouvelle méthode pour une orientation efficace des patients, le « French Triage » (classification française des infirmiers urgentistes à l’hôpital), recommandé par la Société française de médecine d’urgence.

Ce dossier médical codé par couleur par urgence a remplacé l’ancien système de différenciation des zones douloureuses ou des organes, qui ne priorisait pas toujours correctement les cas graves.

« On pose des questions, on trie en fonction de l’état clinique et des antécédents du patient, explique Isabelle, infirmière aux admissions et à l’orientation (IAO), 56 ans.

Son poste, « stratégique », est réservé aux tuteurs expérimentés. « Si on envoie une personne victime d’un infarctus aux urgences en pensant que c’est une douleur au ventre, c’est problématique », souligne Pascal Erhard, l’infirmier de 58 ans de Smoor.

– Informatique héritée –

Malgré ces progrès, tout n’est pas si rose dans le service, qui fait face aux mêmes difficultés que tous les établissements de l’Etat : l’hôpital a fermé une centaine de lits, sans compter ceux inutilisables, vu le manque de personnel soignant dans les étages. .

« C’est un mystère », dit le Dr Sophie Nguyen. Ce médecin expérimenté multiplie les appels téléphoniques « quotidiens » pour trouver des lits à ses patients.

Le docteur Marc Noiset, chef du service des urgences de l'hôpital de Mulhouse, répond à l'appel des urgences le 16 janvier 2023 (AFP - SEBASTIEN BOZON)Le docteur Marc Noiset, chef du service des urgences de l’hôpital de Mulhouse, répond à l’appel des urgences le 16 janvier 2023 (AFP – SEBASTIEN BOZON)

« Ici, j’ai un homme de 84 ans, complètement dépendant. Il n’y a aucune raison pour qu’il reste aux urgences, mais je ne trouve aucun service qui l’accepterait », a-t-elle déclaré en raccrochant le téléphone. « J’étais dessus pendant une heure. Pendant ce temps, je ne suis pas guéri.

Afin d’augmenter le temps consacré aux soins, Marc Noisette souhaite simplifier les démarches administratives confiées aux médecins. Il admet volontiers qu’il passe plus de temps devant son ordinateur à remplir les dossiers des patients qu’avec les patients eux-mêmes.

« L’informatique nous prend beaucoup de temps, les outils ne sont pas ergonomiques. Avec les tablettes et la dictée vocale, je ferais tout près du lit du patient. Mais l’informatique coûte très cher, du coup on a des systèmes qui ont 20 ans », regrette-t-il. . « C’est un vrai sujet.